Archive pour mai 2025

Guerre du gluten

samedi 31 mai 2025

Avec ses autopsies et ses microscopes, la méthode anatomoclinique a fait entrer la médecine dans la modernité. Les médecins pouvaient enfin voir la cause des maux qu’ils avaient auparavant essayé de décrire en écoutant et en palpant leurs patients. Cette révolution s’est accompagnée d’une scission des maladies en deux grandes catégories, celles où une lésion était visible, et celles dont aucun microscope ne parvenait à percer le secret. Les premières ont été nommées « organiques » et les secondes « fonctionnelles ». L’AVC est une maladie organique, la migraine est une maladie fonctionnelle.

Les maladies fonctionnelles sont le terrain de jeu des querelleurs. D’une part, des médecins qui psychiatrisent volontiers les plaintes que n’explique aucune défaillance de gène ou de catalyseur, de l’autre, des patients qui reprochent à la médecine de ne pas pouvoir ou vouloir nommer leur mal.  Ce sont parfois de véritables guerres que les patients finissent souvent par gagner. La guerre de la « crise de foie » a cessé avec la découverte des calculs biliaires, celle de l’endométriose avec les révélations de la coelioscopie et celle de la somnolence diurne avec l’enregistrement des apnées du sommeil.

La guerre du gluten est l’une des plus durables et des plus caricaturales avec sa radicalisation des deux camps. D’un côté, les « gentils », ceux qui pensent que le gluten est la cause de l’irritabilité du côlon, et qui incitent la médecine à s’intéresser enfin à ce problème négligé depuis la révolution néolithique. De l’autre côté, les « méchants » qui assimilent l’intolérance au gluten à un trouble mental tant que n’existe aucune preuve de maladie cœliaque.

La plupart de ces troubles « mystérieux » relèvent probablement de désordres immunitaires assimilables à des maladies auto-immunes de faible gravité que nos moyens actuels ne permettent pas de discerner.

Alors les « gentils » perdront la guerre du gluten si les sciences biomédicales parviennent un jour à démontrer chimiquement les interactions entre le psychisme et l’immunologie. Inversement, les « méchants » perdront cette guerre si l’on parvient à mettre au point un test fiable permettant de révéler des différences d’immunité cellulaire de la muqueuse intestinale face au gluten.

Seule la diplomatie peut mettre un terme aux guerres ; dans ce cas, elle consisterait à admettre notre incapacité à faire de telles recherches. Inversement, ce sont toujours les extrémistes qui font perdurer les guerres. Dans ce genre de guerre médicale, les fanatiques ne manquent pas seulement de moyens de recherche, mais ils manquent aussi d’envie.

Il serait stupide de comparer une guerre médicale à une vraie guerre, telle que la guerre israélo-palestinienne, par exemple. C’est pourtant le même extrémisme obtus des deux camps qui les nourrit, bien que dans la cas de la guerre du gluten, il reste encore l’espoir de plus de science.

Bibliographie

Infections et cancers

lundi 19 mai 2025

Pendant toute l’histoire de l’humanité, les maladies infectieuses ont été, de loin, la première cause de mortalité. Au néolithique, les zoonoses issues de nos animaux domestiques ont fait des ravages. Plus tard, l’urbanisation, les voyages intercontinentaux et la révolution industrielle ont déclenché des épidémies catastrophiques. Comme toutes les espèces vivantes, nos ancêtres avaient des pratiques d’hygiène, mais elles n’ont pas suffi contre ces nouvelles pressions parasitaires. Les médecins étaient la risée de tous, se contentant de décrire des maladies auxquelles ils ne comprenaient rien. Puis, avec l’hygiène réinventée par Pasteur, les vaccins et les antibiotiques, les médecins sont enfin devenus respectables.

Forte de ses victoires sur les maladies infectieuses, la médecine s’est intéressée aux maladies tumorales (cancers), en utilisant le même modèle. Certes, ces deux groupes de maladies résultent de défaillances du système immunitaire, mais les ennemis sont totalement différents. Les virus et bactéries sont des ennemis externes qui jouent parfois leur survie en nous choisissant comme hôtes. Les cellules tumorales, sont des ennemis internes, des cellules totalement indisciplinées et suicidaires qui acceptent de mourir avec leur hôte.

Lorsque les biologistes ont compris que toutes les lignées cellulaires d’un individu abritent des cellules tumorales, ils ont parlé du cancer comme d’un phénomène, plutôt que d’une maladie. Ils ont aussi compris que les modes de vie (alcool, tabac, sédentarité, obésité, polluants) accéléraient ces cancérisations. Heureusement, si l’on ose s’exprimer ainsi, la plupart des individus décèdent souvent d’autres causes avant d’être envahis par de multiples cancers. En nous faisant gagner trente ans d’espérance de vie, nos victoires sur les maladies infectieuses ont contribué à rendre les cancers plus visibles.

À vrai dire, le cancer est devenu un sujet plus politique que médical. Les présidents Nixon en 1971 et Chirac en 2003 sont allés jusqu’à proposer des plans d’éradication du cancer. La démagogie se libérait de la biologie. Et de façon plus risible, le pape français du transhumanisme, pour qui la médecine n’a d’intérêt que par son lucre, a déclaré que le cancer aurait disparu en 2030 !

Le sujet est assurément politique, puisque l’OMS a inscrit le cancer dans ses priorités, y compris en Afrique où les maladies infectieuses dominent encore largement. Dans les pays de l’OCDE, le cancer est considéré comme la première cause de mortalité. Ainsi, un « phénomène » inhérent à toutes les lignées cellulaires est désormais considéré comme la première maladie mondiale !

Mais, je ne veux pas être nihiliste, il faut évidemment poursuivre les recherches sur les causes et traitements des cancers, particulièrement chez les enfants. Car, quels que soient nos futurs progrès biologiques et conceptuels, mourir d’une leucémie ou d’une rougeole à 7 ans sera toujours plus abominable que de mourir de cancer ou de covid à 80 ans.

Références

Modes ou contagions sociales

dimanche 4 mai 2025

La plus connue des épidémies de manie dansante est celle de Strasbourg en 1518 où des centaines de personnes dansèrent sans interruption, parfois jusqu’à mourir d’épuisement. Les médecins, pressés par les autorités, se sont contentés de nommer cette épidémie, à défaut d’en comprendre les ressorts individuels et collectifs. « Peste dansante » et « hystérie collective » sont les premiers mots qui ont recouvert leur ignorance.

Grégarisme, panurgisme ou contagion sociale sont les termes qu’utilisent aujourd’hui les sociologues pour désigner ce type de manifestation. Pèlerinages à Lourdes ou à La Mecque, danse à Woodstock, achats sur le seul critère du chiffre des ventes, tatouages et modes vestimentaires sont quelques exemples de ce communautarisme qui est le trait comportemental dominant de notre espèce. Trait dont l’expression culmine pendant la phase de vie adolescente.

Classiquement, les traits, morphologiques, physiologiques ou comportementaux sont considérés comme sélectionnés par l’évolution pour la préservation d’une espèce. Il faut en conclure que cette « peste dansante » ou les épidémies de suicides qui ont suivi la publication des « Souffrances du jeune Werther » au XVIIIème siècle et plus récemment le suicide de Marylin Monroe, sont des aberrations propres à notre espèce.

Les souverains et les prêtres ont toujours largement utilisé ce trait pour recruter leurs guerriers et leurs dévots. Ce sont aujourd’hui les réseaux sociaux et leurs influenceurs qui déterminent les contagions sociales, avec des effets tout aussi dévastateurs. Le phénomène le plus saillant est celui des populismes et complotismes qui gagnent nos démocraties et sont avant tout nuisibles à leurs adeptes, de la même façons que les dérives sectaires ne bénéficient qu’aux gourous. D’autres sont plus anecdotiques ou plus localisées comme la chloroquine popularisée par l’image atypique de son mentor. Mais on assiste hélas à des phénomènes plus graves comme la contagion sociale du transgenrisme où l’on voit des adolescentes et adolescents s’étant laissé abusivement mutiler, demander des détransitions lorsqu’ils deviennent adultes.

Si les sociologues sont volontiers catastrophistes en annonçant la fin des social-démocraties, les experts en écologie comportementale avouent leur incompétence à évaluer l’ampleur et l’avenir de ces nouvelles contagions communautaires.

Quant à moi, je suis à l’affut des quelques vérités qui peuvent m’aider à combler le gouffre de mon ignorance. Par exemple, les études ont montré que la chloroquine ne marche pas quand elle est donnée en même temps que l’extrême onction, mais que quelqu’un qui en consomme pendant cent ans vit très vieux.  Ou encore la vérité épidémiologique de Michel Audiard sur les miracles à Lourdes : « De 1858 à 1972, 34 guérisons miraculeuses ont été reconnues par les autorités médicales et 72 par les autorités religieuses. Et il y a eu 4272 accidents mortels de circulation sur la route du pèlerinage ».

Bibliographie