Avec ses autopsies et ses microscopes, la méthode anatomoclinique a fait entrer la médecine dans la modernité. Les médecins pouvaient enfin voir la cause des maux qu’ils avaient auparavant essayé de décrire en écoutant et en palpant leurs patients. Cette révolution s’est accompagnée d’une scission des maladies en deux grandes catégories, celles où une lésion était visible, et celles dont aucun microscope ne parvenait à percer le secret. Les premières ont été nommées « organiques » et les secondes « fonctionnelles ». L’AVC est une maladie organique, la migraine est une maladie fonctionnelle.
Les maladies fonctionnelles sont le terrain de jeu des querelleurs. D’une part, des médecins qui psychiatrisent volontiers les plaintes que n’explique aucune défaillance de gène ou de catalyseur, de l’autre, des patients qui reprochent à la médecine de ne pas pouvoir ou vouloir nommer leur mal. Ce sont parfois de véritables guerres que les patients finissent souvent par gagner. La guerre de la « crise de foie » a cessé avec la découverte des calculs biliaires, celle de l’endométriose avec les révélations de la coelioscopie et celle de la somnolence diurne avec l’enregistrement des apnées du sommeil.
La guerre du gluten est l’une des plus durables et des plus caricaturales avec sa radicalisation des deux camps. D’un côté, les « gentils », ceux qui pensent que le gluten est la cause de l’irritabilité du côlon, et qui incitent la médecine à s’intéresser enfin à ce problème négligé depuis la révolution néolithique. De l’autre côté, les « méchants » qui assimilent l’intolérance au gluten à un trouble mental tant que n’existe aucune preuve de maladie cœliaque.
La plupart de ces troubles « mystérieux » relèvent probablement de désordres immunitaires assimilables à des maladies auto-immunes de faible gravité que nos moyens actuels ne permettent pas de discerner.
Alors les « gentils » perdront la guerre du gluten si les sciences biomédicales parviennent un jour à démontrer chimiquement les interactions entre le psychisme et l’immunologie. Inversement, les « méchants » perdront cette guerre si l’on parvient à mettre au point un test fiable permettant de révéler des différences d’immunité cellulaire de la muqueuse intestinale face au gluten.
Seule la diplomatie peut mettre un terme aux guerres ; dans ce cas, elle consisterait à admettre notre incapacité à faire de telles recherches. Inversement, ce sont toujours les extrémistes qui font perdurer les guerres. Dans ce genre de guerre médicale, les fanatiques ne manquent pas seulement de moyens de recherche, mais ils manquent aussi d’envie.
Il serait stupide de comparer une guerre médicale à une vraie guerre, telle que la guerre israélo-palestinienne, par exemple. C’est pourtant le même extrémisme obtus des deux camps qui les nourrit, bien que dans la cas de la guerre du gluten, il reste encore l’espoir de plus de science.