Archive pour mars 2025

Dans l’imbroglio des comorbidités

lundi 31 mars 2025

Le 21 mars 2025, les médias, alertés par la préfecture de la Réunion et l’AFP, annonçaient que le chikungunya avait provoqué le décès de deux personnes, l’une de 86 ans et l’autre de 96 ans. Le communiqué précisait que l’une des deux avait des comorbidités.

Je suppose que beaucoup de mes confrères et concitoyens en sont restés pantois.

Le mot « comorbidité » avait été popularisé lors de la mémorable épidémie de Covid 19, car il concernait l’immense majorité des personnes qui étaient décédées de cette maladie virale. Par ailleurs 95% des victimes avaient plus de 60 ans et, selon les données les plus fiables, leur moyenne d’âge était de 82 ans. Chiffres également constatés pour la grippe.  

Nous sommes donc en droit de conclure que tous les syndromes grippaux tuent presque exclusivement des personnes âgées et atteintes de comorbidités. Ou de façon plus imagée, à défaut d’être humoristique, qu’un syndrome grippal est la goutte qui fait déborder le vase des comorbidités.

Pour ajouter de la rigueur à cet exposé, il convient de dire que les mots « comorbidité » et « sénescence » sont presque synonymes, la sénescence étant l’ensemble des troubles physiopathologiques qui s’installent avec l’âge. Tout octogénaire est porteur d’arthrose, d’athérosclérose, de cellules cancéreuses dans tous ses organes et tissus, de dégénérescence des systèmes sensoriels et métaboliques, d’une baisse de la mémoire, de la vigilance, de la libido, de la filtration rénale, de la force d’éjection ventriculaire, de la capacité pulmonaire ou encore de l’élasticité cutanée. Son système immunitaire n’échappe évidemment pas à cette décrépitude que l’on a pris l’habitude de nommer plus élégamment « sénescence » ou « comorbidités ».

Les virus profitent donc des faiblesses du système immunitaire pendant que les autres membres de cette association de malfaiteurs s’attaquent à d’autres.

Lors du malheureux décès d’une personne âgée, les médecins, devenus porte-parole des sciences biomédicales soumises aux pressions politico-médiatiques, n’osent plus évoquer sa « belle mort » ou sa « mort naturelle ». Ils doivent impérativement extraire de cet imbroglio physiopathologique une insuffisance respiratoire, un AVC, un cancer, une grippe ou un chikungunya.

Il nous reste donc à trouver les raisons qui poussent les autorités et les médias à condamner exclusivement les virus dans l’immense liste des morbidités dont le potentiel de létalité est souvent bien supérieur à celui de ces microorganismes.

C’est peut-être simplement par manque de temps, car même avec des dizaines de chaînes d’information continue, les journalistes n’ont pas le temps d’énumérer et de donner l’âge des personnes âgées mortes d’AVC, de chute dans l’escalier, d’anurie, de fausse route alimentaire ou de neurodégénérescence avancée…

Bien que ces morbidités soient plus télégéniques que le chikungunya.

Référence

Changement d’obsession

samedi 22 mars 2025

L’histoire de la médecine montre explicitement que le diagnostic a toujours été un art noble réservé aux seuls médecins, alors que les diverses thérapies étaient abandonnées aux apothicaires, moines, barbiers, matrones ou chamanes.

L’obsession diagnostique des médecins s’est renforcée avec l’apparition des premières thérapies médicales et chirurgicales véritablement efficaces. Au milieu du XXe siècle, il aurait été honteux de rater le diagnostic d’une maladie relevant d’un acte chirurgical efficace ou d’une infection contagieuse (syphilis ou tuberculose) que les premiers antibiotiques pouvaient soigner. Cependant, si tous les autres diagnostics avaient peu ou pas de conséquences pratiques, les médecins tenaient à les formuler pour leur satisfaction intellectuelle ou esthétique. 

Cette exclusivité médicale et cette priorité scientifique du diagnostic ont toujours été au cœur de l’enseignement dans les facultés de médecine. Malgré l’arrivée de traitements plus performants, un bon médecin se définissait avant tout par son expertise diagnostique.

Puis lorsque l’état sanitaire des populations a continué à s’améliorer pour d’autres raisons, essentiellement sociales, la médecine a changé son obsession diagnostique en une obsession thérapeutique, même en l’absence de symptôme ou de maladie.

Dans le domaine de la prévention pharmacologique, la Faculté ne connaissait que les vaccins, mais sous la pression du marché, les universités ont commencé à enseigner la prévention pharmacologique pour toutes sortes de maladies non-infectieuses. C’est alors l’existence de médicaments supposés actifs qui a guidé la nosologie, cette science du classement des maladies. 

Ce renversement total de paradigme est patent en psychiatrie où le diagnostic d’une maladie est fait par l’administration d’un médicament supposé la soigner. Mais cela se voit aussi de façon moins caricaturale pour les maladies cardio-vasculaires, tumorales ou neuro-dégénératives ou l’on propose souvent des traitements médicaux ou chirurgicaux bien longtemps avant l’apparition d’un éventuel premier symptôme. Cela revient à priver la médecine de tout diagnostic précis, pire encore, à lui supprimer définitivement les moyens d’améliorer ses connaissances.

Il ne nous sera désormais plus possible de savoir quelle est l’évolution des cellules cancéreuses d’un organisme au cours des phases d’une vie, ni de connaître les fluctuations naturelles de la pression artérielle, de l’humeur ou de la glycémie en fonction des modifications du mode de vie.

Cette nouvelle obsession thérapeutique a non seulement privé les médecins de la satisfaction intellectuelle et esthétique des diagnostics, elle les a aussi asservis en leur supprimant définitivement l’accès à la connaissance. Quant aux facultés de médecine, leur assujettissement a été plus lent, mais il apparaît encore plus irrémédiable.

Bibliographie

Intuitions autour de mars bleu

mardi 4 mars 2025

La campagne d’incitation au dépistage du cancer du côlon débute sous le nom de « mars bleu ». Nous connaissions le célèbre « octobre rose » pour le sein et le plus discret « novembre bleu » pour la prostate. Il y aura certainement d’autres couleurs et d’autres mois, car l’idée de dépister une maladie avant qu’elle devienne symptomatique est intuitivement excellente.

Les autorités ne comprennent pas pourquoi 2/3 des Français ne pratiquent pas ce test facile dans les selles. Plusieurs raisons sont évoquées : négligence, dégoût, peur du résultat ou indiscipline ; toutes ont une consonnance négative sur nos concitoyens.

Inversement, en vaccinologie, la compliance des Français a toujours été supérieure à 90%, sauf pour quelques vaccins ayant une faible plus-value de santé individuelle et publique. Cela m’amène à penser que nos concitoyens ont une forme d’intuition épidémiologique.

Cependant aucune intuition ne peut avoir de valeur scientifique. L’épidémiologie doit se baser sur des chiffres et avant tout sur les critères qui déterminent ces chiffres.

L’argument de « mars bleu » est celui de la guérison chez 90% des personnes qui pratiquent ce dépistage. Un tel argument avec un résultat aussi élevé que celui d’une élection russe, devrait encourager les plus réticents.

Cependant, plutôt que de juger 2/3 des Français comme des trompe-la- mort, je préfère leur attribuer un comportement à consonnance positive. Voilà pourquoi.

Le seul critère de guérison utilisé en cancérologie est celui de la survie à cinq ans sans évolution clinique. Ce critère est assez pertinent pour estimer la guérison d’un patient toujours vivant sans symptômes cinq ans après avoir été opéré d’une tumeur symptomatique.

Mais ce critère est également utilisé dans le cadre du dépistage de cancers asymptomatiques, et il est répété à l’envi par les leaders d’opinion médicaux sur tous les médias. Pourtant, ce critère est irrecevable statistiquement, voire stupide. Il signifie qu’être vivant sans symptôme, cinq ans après avoir été dépisté d’une maladie sans symptômes est une guérison. Dit de façon ubuesque : si vous avez la chance d’être vivant à un instant T, c’est que vous êtes guéri de tout ce que vous aviez sans le savoir cinq ans auparavant. Dit de façon kafkaïenne : soit vous êtes guéri avant d’être malade, soit vous êtes mort par négligence.

Pour juger l’efficacité de nos efforts contre un cancer, le meilleur critère est celui de l’âge moyen constaté à la mort par ce cancer. Malgré sa pertinence, ce critère ne suffirait pas à distinguer la part du traitement des cancers symptomatiques de celle du dépistage de cancers asymptomatiques.

Je n’ai aucun a priori sur l’utilité ou non du dépistage du cancer du côlon, je ne dispose simplement d’aucun critère satisfaisant pour en juger. Nos concitoyens semblent l’avoir intuitivement compris.

Traiter ses administrés comme des enfants est un populisme d’élite. Et les Français ne sont pas des trompe-la-mort comme en témoigne leur espérance de vie.

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