Archive pour juillet 2024

Trilogie des misères sanitaires

dimanche 21 juillet 2024

La santé publique a pour but de diminuer la mortalité infantile et générale, donc d’augmenter la durée et l’espérance de vie. La plus grande action de santé publique réalisée dans le monde a eu lieu à Rethondes le 11 novembre 1918 par la signature de l’armistice mettant fin à la grande guerre. La mortalité des hommes de tout un continent dans la tranche d’âge de 16 à 40 ans est passée de 10 % à moins de 0,5 %. Les épidémies et famines se sont arrêtées brutalement et la natalité est repartie. Hélas, vingt ans après, la deuxième guerre mondiale a relancé les morts juvéniles, les famines et les épidémies.

Il en est de même pour tous les pays du monde : un gouvernement qui ne parvient pas à éviter les guerres peut se passer d’un ministère de la santé. Lorsqu’un pays réussit à maintenir quelques décennies de paix, il peut alors envisager des actions de santé publique qui ne soient pas vaines. Ainsi, pour l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon, c’est à partir des années 1970 qu’il est redevenu mathématiquement rentable de s’intéresser à la santé publique. C’est de l’épidémiologie crue et incontestable.

Il en est de même pour les famines. Un pays qui ne parvient pas à nourrir sa population peut aussi se passer d’un ministère de la santé. Médecins et ONG sont incapables de modifier les indicateurs sanitaires d’un pays où la malnutrition est chronique. Sachant que les famines sont généralement corrélées aux périodes de guerre, nous voici donc revenus à la case départ.

Enfin, le dernier volet de la trilogie des misères sanitaires est celui des épidémies. C’est le seul volet où la médecine peut améliorer les indicateurs sanitaires, encore faut-il que ces épidémies ne soient pas directement liées à une guerre ou une famine. Il faut aussi bien définir ce qu’est une épidémie. La peste a décimé plus de 35% des individus. Aujourd’hui nous parlons d’épidémie pour des mortalité inférieures à 1%, voire 1 pour mille. Si les termes de guerre et de famine ont conservé leur violence sanitaire, celui d’épidémie ne recouvre plus les même réalités qu’auparavant.

A titre d’exemple, le SIDA, considéré comme l’épidémie du XXème siècle n’arrivait qu’en septième position dans les causes de mortalité infantile, loin derrière les diarrhées infectieuses, le paludisme ou la tuberculose. J’ignore quelles maladies seront considérées par l’OMS comme des épidémies au XXIème siècle. J’espère surtout que le galvaudage de ce terme ne donnera pas trop de suprématie aux ministères de la santé face aux divers ministères chargés de garantir une paix durable et une suffisance alimentaire.

De façon plus cocasse, mais aussi sérieuse, le risque de mourir par le téléphone portable en voiture est mille fois supérieur au risque de mourir d’une méningite. La santé publique a exigé un vaccin pour le second mais n’a aucun moyen d’action sur le premier. 

Répétons que l’épidémiologie n’est pas une science médicale, mais une science sociale.

Bibliographie

Le bon critère

mercredi 10 juillet 2024

La définition de tout objet de science (planète, espèce, tempête ou pauvreté) repose sur des critères qui peuvent varier au cours du temps et des connaissances. La médecine utilise des critères pour établir des diagnostics et évaluer des traitements. Ces critères sont quasi immuables en infectiologie ou traumatologie, ils sont variables en cardiologie, plus encore en cancérologie, et très instables en psychiatrie. Une autre complexité de la médecine est celle de l’immanence des critères selon qu’ils sont établis par le patient ou le médecin. Une blague classique est celle du patient décédé alors que le chirurgien était satisfait de l’intervention. Inversement un patient peut être satisfait ou guéri par un traitement dont les critères d’évaluation sont absents. Ces deux exemples illustrent les deux radicalismes du soin. Un traitement théoriquement parfait peut n’avoir aucun effet clinique et un traitement ésotérique peut se montrer efficace. On objectera que les maux traités par l’académisme sont plus graves que ceux traités par l’ésotérisme. Cette objection est recevable à condition qu’un diagnostic basé sur des critères précis ait précédé un traitement évalué par des critères précis ; ce qui est rarement le cas quelles que soient les pratiques académiques ou alternatives. D’un côté, on traite radicalement des maladies dont les critères de diagnostic sont invalides, de l’autre la satisfaction immédiate du patient devient l’unique critère d’évaluation d’un traitement.

Dans un monde parfait, les critères diagnostiques devraient être la prérogative des médecins, alors que les patients auraient la charge d’établir les critères du soin. Hélas l’impatience est au cœur de toutes les pratiques. Pourtant, en dehors de rarissimes urgences diagnostiques et thérapeutiques connues depuis longtemps, on a toujours largement le temps d’évaluer les critères de diagnostic et de soin.

Le dépistage des cancers caricature ces impatiences. Un patient se soumet volontiers à un dépistage, si on lui dit qu’il diminue le risque de mourir d’un cancer dans les dix ans à venir. Si on lui explique que pendant ces mêmes dix années, cela ne modifie pas son risque de mort, toutes causes confondues, il hésite ou ne comprend pas.

Ces deux assertions sont pourtant exactes, révélées par les plus pertinentes méta-analyses : un dépistage diminue très légèrement le risque de mourir de la maladie dépistée sans diminuer le risque global de mourir durant la même période. Les explications sont multiples et chacun a la sienne.

En épistémologie du soin, le seul critère valable est celui de la mortalité globale ; tous les autres critères sont dits « intermédiaires » ou « de substitution ». La grande majorité des essais cliniques n’ont ni la puissance statistique ni la durée suffisantes pour le critère essentiel.

Si la médecine a beaucoup progressé dans l’élaboration des critères diagnostiques, osons dire qu’elle est encore balbutiante dans l’élaboration des critères thérapeutiques.

Bibliographie