Archive pour juin 2024

C’est essentiel

samedi 29 juin 2024

Un patient atteint de « tremblement essentiel » me demanda ce qu’était cette maladie. Je lui expliquai avec quelque difficulté qu’il s’agissait d’une maladie dont on ignorait la cause, probablement une dégénérescence neurologique liée à l’âge. Il m’interrogea sur le qualificatif « essentiel », je dus alors admettre l’étrangeté de ce terme qui s’applique aux maladies dont on ignore la cause, comme l’hypertension artérielle essentielle. Cependant, nombreuses sont les maladies, schizophrénie ou migraine, dépourvues de cet épithète malgré l’ignorance qui les entoure.

Le terme de « non-spécifique » est plus direct et moins obscur, il désigne littéralement les maladies dont l’espèce (donc la cause) n’est pas identifiable. On parle de pneumopathie interstitielle non spécifique, de colite, de myocardite, d’urétrite ou de dermatite, toutes non spécifiques, pour nommer ces inflammations des poumons, du colon, du myocarde, de l’urèthre ou de la peau dont la cause ne semble ni infectieuse ni auto-immune.

La médecine utilise aussi le terme « idiopathique » pour qualifier sa méconnaissance des causes. Ainsi, fibrose pulmonaire, scoliose, thrombocytopénie, hypertension intracrânienne, cardiomyopathie hypertrophique ou épilepsie sont autant de maladies qui possèdent une forme idiopathique.

Parfois, de façon moins grandiloquente, on utilise le mot « sénile » pour qualifier une évidence. La plus connue est la démence sénile, caractérisée par des « plaques séniles » dans le cerveau. On parle aussi d’ostéoporose, de cataracte et de kératose séniles, autant de dégénérescences qui affectent nos os, nos cristallins et notre peau au fil du temps. Lorsque la vieillesse de nos organes est caractérisée par une particularité identifiable, on préfère utiliser un vrai nom de maladie, qui évite l’affront du  » sénile  » ou du  » dégénératif « . Ainsi les plaques séniles de la démence sont devenues les plaques amyloïdes de la maladie d’Alzheimer, alors que la maladie de Parkinson devenait un déficit en L-Dopa.

La palme revient à la DMLA, un sigle largement médiatisé pour vendre un médicament supposé ralentir certaines formes de cette dégénérescence de la rétine. L’idée de vendre un médicament pour soigner une maladie dont le nom même affirme qu’elle est exclusivement liée à l’âge, peut paraître cocasse d’un point de vue mercatique ou miraculeux d’un point de vue biologique.

Le mot « dégénératif  » tend à être définitivement banni. Ainsi, l’ostéoarthrite dégénérative est devenue « arthrose » qui sonne comme un nom familier, presque sympathique, sauf lorsqu’elle provoque des insuffisances rénales et des addictions par l’abus d’antiinflammatoires et de morphiniques.

Ce patient, après mes explications confuses sur la nosographie de l’ignorance, osa conclure que la vieillesse est une maladie essentielle. Je n’eus pas d’autre choix que de l’encourager dans cette sagesse qui le protégerait de bien de tourments et lui épargnerait assurément d’innombrables maladies iatrogènes.

Référence

Avenir sanitaire et démocratique

lundi 10 juin 2024

Les principales différences entre dictatures et démocraties sont la liberté de la presse, la liberté de culte, l’indépendance de la justice et l’existence de divers contre-pouvoirs publics et privés. Ces différences se répercutent sur tous les secteurs de la vie individuelle conduisant à d’énormes différences sanitaires dont la preuve la plus évidente est l’espérance de vie, toujours supérieure dans les démocraties.

Les progrès sociopolitiques ont certainement le plus gros impact sur le niveau sanitaire ; le niveau d’éducation des filles étant, de très loin, le plus important facteur d’élévation de l’espérance de vie. La qualité des infrastructures a une énorme importance, en particulier le traitement des eaux. Le PIB par habitant joue aussi un rôle majeur, mais son impact sur l’espérance de vie peut être faible lorsque les inégalités sociales sont importantes, comme dans les pays du Golfe. Inversement, Cuba a une espérance de vie élevée, malgré un faible PIB par habitant. Les progrès techniques de la médecine ont évidemment un impact, mais il est plus faible, les USA qui ont le plus haut niveau de technologie médicochirurgicale ont une espérance de vie plus faible que beaucoup d’autres pays moins pourvus. La culture et les religions peuvent avoir un impact notable par le biais de l’endogamie qui favorise l’émergence de maladies génétiques ou de déficits cognitifs comme chez les Bédouins, les Amish, les Parsis ou les Ashkénazes.

De cet inventaire non exhaustif, il ressort que pour une meilleure santé, il est préférable de vivre dans une riche démocratie ayant de solides infrastructures, de faibles inégalités sociales et des filles hautement éduquées. L’absence de discrimination ethnique ou religieuse, et une biomédecine de pointe peuvent apporter quelques bénéfices sanitaires supplémentaires.

Voici maintenant un nouvel inventaire encore plus facile à dresser. Le populisme se montre désormais capable de faire imploser les démocraties européennes. Donald Trump et la dynastie Le Pen sont à la porte du pouvoir confirmant l’accroissement des inégalités cognitives et présageant celui des inégalités sociales. Les réseaux sociaux invalident les concepts de liberté de presse et de libre-arbitre. Les filles non-éduquées sont devenues les influenceuses de ce nouvel univers. Les trois quarts de l’humanité vivent dans une dictature et les quatre cinquièmes sous l’emprise d’une religion.

Par ailleurs, on me dit que le réchauffement climatique constitue une nouvelle menace sur notre santé et je viens de lire qu’il n’est plus tout à fait certain que l’aspirine puisse empêcher la survenue des maladies cardio-vasculaires. Ça alors !

J’en arrive à me demander quel pourra être l’impact des nouveaux progrès biomédicaux sur la santé, particulièrement la vôtre.

Références