Archive pour février 2024

Contorsions neurologiques et psychiatriques

jeudi 29 février 2024

En 1968, la neurologie et la psychiatrie ont été séparées, car l’une répondait au modèle biomédical, alors que l’autre y restait hermétique. Les maladies neurologiques avaient quelque substrat anatomique ou physiologique alors que les maladies psychiatriques en étaient dépourvues. Néanmoins, la psychiatrie est restée médicale, car on avait pris l’habitude de confier les troubles mentaux et psychiques aux médecins. La prévalence de ces troubles a été très profitable au commerce médical, mais elle a confronté la biomédecine aux limites de son modèle anatomoclinique.

Errant entre les mythologies du psychisme et les obsessions moléculaires de la neurophysiologie, les diagnostics subissent de pittoresques contorsions.

Les grandes crises d’hystérie sont devenues les « crises psychogènes non épileptiques » (CPNE), admettant l’origine psychique, mais introduisant une épilepsie en négatif avec électroencéphalogramme normal. Une sémantique plus politique que biomédicale !

L’épilepsie est devenue un mal neurologique après avoir été un mal divin. La mortalité prématurée y est onze fois plus élevée que dans la population générale, mais les ¾ des décès semblent liés à une comorbidité psychiatrique de type dépression ou toxicomanie (4 fois plus de suicides, 4 fois plus d’accidents de la circulation, 8 fois plus de chutes, 8 fois plus de noyades). Par ailleurs, il existe une relation significative entre l’épilepsie temporale et les troubles bipolaires. Certaines manifestations paroxystiques (fugues, vols, agitation psychomotrice ou actes impulsifs) succèdent aux crises épileptiques. L’arrêt du traitement s’accompagne souvent de troubles bipolaires. La fréquence d’antécédents familiaux pour ces deux affections autorise à évoquer un substrat neurobiologique.

D’autres recherches de comorbidité sont plus surprenantes. De nombreux patients atteint de sclérose en plaques ont un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux, ce qui n’est pas étonnant au regard de la gravité de cette maladie. Mais en insistant sur le fait que ces troubles aggravent l’invalidité, on leur confère une valence organique.

Chez les migraineux, la dépression est 3 fois plus fréquente, le syndrome d’anxiété généralisée et le trouble panique, 4 fois plus, et les troubles bipolaires de 3 à 7 fois plus. La relation entre migraine et maladie bipolaire est si forte que certains ont proposé d’en faire un sous-type nommé trouble bipolaire à cycles rapides (TBCR). Voilà qui ne simplifie pas le diagnostic instable de la maladie bipolaire.

Les uns notent la forte relation entre dépression et seuil de douleur, les autres évoquent une prédisposition neurophysiologique à la douleur chronique.

Une dépression chronique quadruple le risque de démence vasculaire. Une dépression d’apparition tardive double le risque de maladie d’Alzheimer, et pour certains, elle en serait un signe précurseur.

Après leur séparation sur le critère du substrat, la neurologie et la psychiatrie doivent-elles être réunies sur le critère de notre ignorance ? 

Bibliographie

Haro sur les arbres

samedi 17 février 2024

Un élu, soucieux de la survie de ses électeurs, propose de couper tous les arbres bordant les routes de son département. Selon certaines sources, les collisions entre véhicules et arbres seraient responsables de 250 morts par an. Mais les arbres ont bénéficié de la loi de légitime défense, car les expertises qui ont suivi ces drames ont toujours confirmé que le mouvement à l’origine de la collision meurtrière venait exclusivement du véhicule.

D’autres élus de départements d’outre-mer avaient proposé d’exterminer tous les requins, car certains d’entre eux avaient mortellement mordu des surfeurs. Cette extermination des requins n’aurait été que justice, puisqu’à l’inverse des arbres, ce sont toujours eux qui avaient mordu les premiers. Hélas, l’abattage des requins est plus difficile que celui des arbres pour des raisons cinétiques que chacun peut comprendre.

Comme dans la fable, il faut trouver un coupable pour ces malheurs qui frappent régulièrement les humains qui roulent ou surfent. La foule des animaux épargna le lion qui avait mangé un berger et condamna l’âne qui n’avait brouté qu’une langue d’herbe. On épargne les requins qui fuient la sentence, pour sacrifier les arbres qui l’attendent sans bouger.

Diderot disait que « l’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener ». Doit-on pour autant considérer que l’élu qui propose l’extermination des arbres de son département est un humaniste ? J’hésite…

Sans même vérifier, je pense qu’un élu qui préfère les automobilistes aux arbres est d’abord de droite avant d’être humaniste. On me rétorquera, sans vérifier davantage, qu’un citoyen qui s’oppose à une telle décision est d’abord de gauche avant d’être arboriste.

En matière de mortalité, les politiciens pourfendeurs d’arbres ne sont pas de meilleurs épidémiologistes que les marchands d’alcool, de tranquillisants et de cannabis. Mes connaissances en ce domaine plaident pour accorder un sursis aux arbres en attendant une enquête plus rigoureuse sur la cause des accidents de la route.

Toujours en ma qualité d’épidémiologiste, je propose l’éradication des moustiques qui sont assurément responsables de millions de morts chaque année. Hélas, la chose est encore plus difficile que pour les requins, car les moustiques sont de plus fieffés coquins…

Protéger les arbres où nichent les oiseaux qui mangent les moustiques pourrait être un bon début, même si cela sera certainement insuffisant…

Pour le contrôle des petits malheurs ou des grandes malédictions, il semble bien que les écologistes et les politiciens n’aient pas de meilleure option que de crier « haro sur le baudet ».

Références

De panacées en blockbusters

vendredi 9 février 2024

Les panacées sont définies comme des médicaments pouvant tout guérir. L’Histoire en regorge : centaurée, thériaque, ginseng, snake-oil et poudre de sympathie sont les plus célèbres. Mais leur commerce était fort peu lucratif, faute de business plan.

La thériaque contenait plus de cent substances destinées à soigner tous les maux, mais elle contenait surtout une bonne dose d’opium. Les pharmaciens qui la distribuaient à la louche n’avaient pas encore compris tout l’argent que pouvait faire gagner l’addiction aux opiacés. La poudre de sympathie guérissait toutes les plaies, hélas, elle pouvait guérir à distance, ce qui n’était pas favorable au commerce. La snake-oil garantissait la vie éternelle à tous les conquérants du far-west, mais les docteurs camelots la bradaient bien souvent.

Jusque dans les années 1980, les Européens ont été les seuls à fabriquer les vaccins qui sauvaient des millions de vies. Mais leur prix dérisoire n’attirait ni les marchands ni les actionnaires. Lorsque les Américains s’y sont intéressés, leur prix a été multiplié par dix ou cent pour le même service rendu. Les Etats-Unis ont véritablement sauvé l’honneur du marché de la santé. Les camelots sont devenus experts de mercatique, les pharmaciens ont compris l’addiction, les boniments se sont parés de science diagnostique et les louches d’opium sont devenues des gélules bicolores.

A la fin du XIXe siècle, la cocaïne a été promue comme anesthésique, mais aussi pour soigner le mal de mer, la dyspepsie, l’asthme, la cachexie, l’impuissance, l’alcoolisme, la timidité, l’hystérie, la neurasthénie et la morphinomanie. Freud en a été un promoteur enthousiaste.

En 1950 le premier neuroleptique, le Largactil® a été proposé dans l’alcoolisme, l’anxiété, l’asthme, les troubles du comportement de l’enfant, le hoquet, les vomissements, l’ulcère gastrique, la ménopause, le psoriasis, la phobie du cancer, l’agitation, la sénilité, l’apathie, les manies, l’agressivité, les déficiences mentales, le stress, les délires, sans oublier toutes les douleurs.

À la fin du XXe siècle, un autre neuroleptique, le Zyprexa® a profité sans vergogne de cet engouement pour la psychiatrie, eldorado des pharmacologues. Il été validé contre la schizophrénie, troubles schizo-affectifs et personnalités schizotypiques, mais il a aussi été promu dans le trouble bipolaire, les psychoses du Parkinson et de la sénilité, la dépression unipolaire, les dysthymies, les toxicomanies et syndromes de sevrage, l’anxiété, les personnalité borderline, l’agressivité, l’anorexie, les mouvements involontaires, l’autisme, le TDAH, la boulimie, les troubles musculosquelettiques, les dysfonctions sexuelles, les troubles somatomorphes, les troubles vestibulaires, les nausées et vomissements, et bien évidemment toutes les douleurs.

Les camelots avaient transformé les placebos en panacées et la psychiatrie a transformé les panacées en blockbusters. Le cerveau est l’organe le plus facile à corrompre, dans tous les sens du terme.

Références

Comité de la fertilité

jeudi 1 février 2024

Tous les présidents de la Vème république ont insisté sur l’impératif d’alléger l’administration et de diminuer le nombre de fonctionnaires. Malgré ce leitmotiv, aucun n’y est parvenu, quelle que soit sa tendance politique. Bien au contraire, le mille-feuille administratif s’est épaissi et le nombre des « assis » – comme les surnommait Rimbaud – n’a cessé d’augmenter.

Dans les hôpitaux, le personnel administratif strict est de 15% et l’ensemble du personnel non soignant est proche de 40%. Dans tous les secteurs, les normes et les procédures, souvent mal interprétées, alourdissent le fardeau du travail et en dégradent la qualité. La nocivité d’une norme est aussi inimaginable que celle d’un médicament, puisque les deux ont été conçus pour notre bien. On préfère ajouter de nouvelles normes ou de nouveaux médicaments pour corriger les effets indésirables des premiers.

Je dois donner au moins un exemple pour que ma critique ne soit pas triviale, voire populiste. La baisse de natalité qui atteint désormais notre pays vient de m’en fournir un. Cocasse.

Ne confondons pas les termes : ce n’est pas notre fertilité qui diminue, mais notre fécondité. La pollution et les perturbateurs endocriniens ont probablement un impact négatif sur la fertilité, mais il est très faible. Quant à la baisse de fécondité, elle relève essentiellement de facteurs sociétaux. Les inquiétudes économiques, écologiques et géopolitiques peuvent l’expliquer, mais toutes ces causes se résument à une seule qui est l’âge de plus en plus élevé de la première grossesse. Si les âges de la puberté et de la ménopause ont pu varier au cours des siècles et des environnements, il apparaît que l’âge du pic de fertilité des femmes n’a jamais varié : il est toujours de 24 ans. Et l’on oublie ou veut oublier trop souvent que le sperme se dégrade lui aussi avec l’âge.

Passés ces pics, la fécondité d’un couple va diminuant inexorablement. La PMA (procréation médicalement assistée) ne peut pas compenser ce déficit, tout en majorant les risques pour l’enfant à naître. Malgré sa large médiatisation, l’impact de la PMA sur la natalité reste faible (environ 3% des naissances en France où elle est beaucoup pratiquée, car remboursée jusqu’à 43 ans).

Devant ce constat, notre président, pourfendeur lui aussi de la pléthore administrative, a cependant décidé de créer un comité de la fertilité. J’ignore combien d’assis, experts, conseillers ou fonctionnaires émargeront à ce comité, quel sera son budget et la technologie mise en œuvre, mais ce sera assurément à fonds perdu. N’ayant aucune prise sur les macro-facteurs qui génèrent l’angoisse de la fécondation, ni sur les éventuels micro-facteurs qui diminuent la fertilité, tous ses membres, après des détours rhétoriques et de lourdes dépenses, finiront par conclure qu’il vaut mieux se féconder à 24 ans qu’à 43 ans.

C’est ce que j’ai tenté d’exposer dans cette très courte chronique, sans obliger le contribuable ni à me payer, ni même à me lire.

Références