Il existe une différence subtile entre un symptôme et un signe clinique. Le symptôme est vécu comme tel par le patient, alors que le signe clinique est découvert par le médecin. La douleur du pharynx est un symptôme, la rougeur des amygdales est un signe clinique ; la constipation est un symptôme, le fécalome est un signe clinique ; la paralysie est un symptôme, l’aréflexie est un signe clinique. Le vomissement et la diarrhée sont des symptômes, la persistance du pli cutané est un signe clinique de déshydratation.
En dehors de toute radio ou analyse, la pratique clinique consiste à décrypter les symptômes et à détecter les signes cliniques. Un clinicien peut déceler l’intensité d’une douleur passée ou d’un délire par la gestuelle de leur narration. L’oméga mélancolique était décrit par Darwin comme un signe facial de dépression. L’écologie comportementale nous apprend que les mimiques de la douleur sont d’une étonnante constance et ne trichent pas.
Nombreux sont les médecins qui émettent déjà des hypothèses sur le motif de consultation avant même que le patient ne soit assis en face d’eux. D’autres évaluent la gravité d’une douleur abdominale infantile en scrutant les échanges de regard entre la mère et l’enfant.
Certains signes cliniques résultent d’une pratique longue et attentive. Par exemple, le bâillement n’est pas contagieux chez les autistes. L’incapacité à percevoir les sarcasmes est un signe précoce de la maladie d’Alzheimer. La réapparition des réflexes archaïques est aussi un signe de démence sénile. L’impression d’être espionné est un signe pathognomonique (caractéristique) de la schizophrénie. La force de la poignée de main associé au bonjour aide à établir le pronostic d’une dépression.
Le xanthelasma (dépôt cutané d’esters de cholestérol), la calvitie précoce et le signe de Frank (pli diagonal du lobe de l’oreille) sont d’excellents prédicteurs de risque cardio-vasculaire. L’estimation de l’âge biologique en dix secondes est le meilleur prédicteur du risque de fracture ostéoporotique. L’arrêt spontané du tabac chez un gros fumeur de longue date est un signe en faveur d’un cancer du poumon à son début.
Comment un spécialiste peut-il comprendre un malade qu’une secrétaire a fait déshabiller et qu’elle a installé sur la table d’examen sans que le praticien n’assiste à ce cérémonial ? Comment un vrai clinicien pourrait-il envisager une hypothèse diagnostique s’il n’a pas vu le patient arriver, s’il ne lui a pas serré la main et ouvert la porte, s’il ne l’a pas vu s’asseoir, s’il n’a pas vu la gestuelle du premier mot de sa narration, s’il ne l’a pas vu évoluer dans la salle de consultation ?
L’expertise clinique est celle du tourneur qui éprouve le fil du bois, celle du musicien qui transpose une partition à vue, celle du maçon qui évalue une fissure.
La promotion des hospitalo-universitaires se fait sur le nombre de leurs publications, pas sur leur expertise clinique ; il est logique qu’ils ne sachent ni ne veuillent vraiment l’enseigner.