Archive pour février 2023

Prodigieuse paraclinique

mercredi 22 février 2023

Les examens « paracliniques » désignent les innombrables techniques qui complètent l’examen clinique direct du patient : imagerie, sérologies, microbiologie, électrographies, endoscopies, génomique, etc. Leur but est de confirmer ou d’infirmer un diagnostic. La faculté enseignait de ne les prescrire qu’après avoir évoqué un ou deux diagnostics. Certains professeurs suggéraient de faire payer aux internes le coût des examens au résultat négatif, ou d’en évaluer l’utilité après diagnostic : une IRM pour tendinite ou maladie d’Alzheimer n’en change pas les soins. 

Cette parcimonie fait sourire, aujourd’hui la Sécu finance la gabegie. La fuite en avant s’accélère, entretenue par l’ingéniosité technique et l’activisme médical que la société exige. Les médecins n’osent plus de diagnostics sans confirmation paraclinique, et les patients considèrent ceux-ci comme suspects. C’est pourquoi la recherche biomédicale s’active dans deux directions, d’une part, la psychiatrie où les diagnostics restent exclusivement cliniques, d’autre part, le dépistage des maladies tumorales, cardiovasculaires et neurodégénératives avec l’espoir d’en retarder l’apparition clinique.

En psychiatrie, l’électrographie de la rétine aide au suivi des addictions, des dépressions majeures et de la schizophrénie. On a détecté six marqueurs biologiques corrélés au risque de suicide chez les bipolaires et les schizophrènes et onze pour la dépression majeure chez les adolescents. Un facteur neurotrophique aide à prédire un trouble bipolaire lors d’un premier épisode dépressif. Louons ces efforts pour distinguer les graves maladies psychiatriques des légers troubles de l’humeur ou du comportement.

Inversement, inquiétons-nous des risques d’excès diagnostiques et de leurs dérives commerciales. On a isolé un marqueur dont le taux est plus élevé en cas de stress post-traumatique, de fatigue chronique ou d’état dépressif, autant de diagnostics difficiles et instables. Certains contextes psychologiques (rumination, stress) modifient le taux des IgA salivaires, mais ce taux varie aussi en fonction des personnalités. Certains proposent la rétinographie pour diagnostiquer l’autisme, l’anorexie, le TDAH, voire la maladie d’Alzheimer ; cette dernière détient le record des marqueurs, on en est à plus de deux-cents !

Les cocasseries abondent en d’autres domaines. La spectroscopie par résonance magnétique nucléaire permet de mesurer plus de cent biomarqueurs à la fois ; les big data ont permis de discerner 4 biomarqueurs fortement corrélés au risque de mourir dans les cinq ans. Le décryptage du glycome (ensemble des sucres de l’organisme) est un bon prédicteur des maladies cardio-vasculaires et métaboliques ; voilà une prestigieuse façon de confirmer que le sucre est mauvais pour la santé. Le spectre de l’ostéoporose a conduit à 7 millions de dosage de vitamine D par an en France, mais on en ignore toujours l’utilité…

La recherche biomédicale m’émerveille. Il reste encore à surveiller qui la contrôle et à en décharger le budget de la Sécurité sociale.

Bibliographie

Marions-les

dimanche 12 février 2023

Plusieurs études, originales et sérieuses, ont essayé d’établir des relations entre le statut matrimonial et l’état de santé.

La cardiologie en livre d’étonnants résultats. Par exemple, le fait de vivre sans conjoint après 75 ans augmente de 25% le risque de décès dans l’année qui suit un infarctus.

Nous savons que la pression artérielle est intimement liée à l’environnement socio-professionnel. Dans un couple, la qualité de la relation conjugale auto-déclarée (haute, moyenne ou faible) est inversement proportionnelle à la pression artérielle. Les électrocardiogrammes d’effort après un stress mental révèlent que le myocarde des célibataires y est deux à trois fois plus sensible que celui des personnes vivant en couple. De manière générale, chez les femmes, le veuvage dégrade le profil cardio-vasculaire.

Chez les sédentaires, l’activité sexuelle entraîne des risques de mort subite et d’accident cardiaque aigu plus élevés chez les célibataires que chez les appariés. Cependant, une activité sexuelle régulière diminue ce risque (comme pour l’activité physique). La vie en couple serait alors un avantage, si nous postulons que l’activité sexuelle y est plus régulière.

Le statut matrimonial a bien d’autres répercussions sur la santé. La vie en couple et, a fortiori, la vie familiale limitent les conduites à risque et stimulent les fonctions cognitives. Ainsi, le risque de démence chez les célibataires et supérieur de 50% à celui des personnes mariées. Cette différence ne se constate pas chez les divorcés. C’est ainsi !

Le psychisme est évidemment concerné. L’hospitalisation pour raisons psychiatriques multiplie par cinq le risque de suicide du conjoint, dans les deux années suivantes. Le décès du conjoint multiplie ce risque par huit (toujours dans les deux ans) ; et si le décès est dû à un suicide, ce risque est multiplié par plus de vingt.

Une douleur importante en fin de journée chez l’un des conjoints diminue la quantité et la qualité de sommeil de l’autre, avec un sommeil d’autant moins réparateur que la relation conjugale est plus étroite. Quant aux douleurs chroniques, celle de l’un influe objectivement sur l’état de santé de l’autre.

Si le mariage est déjà fort connu pour augmenter l’espérance de vie des individus, on connaît moins ses répercussions en termes de santé publique. La prématurité et petit poids de naissance des nouveau-nés sont plus fréquents chez les mères célibataires que mariées. Dans un tout autre registre, le mariage diminue considérablement les conduites anti-sociales ; il réduit le risque de criminalité d’environ 35 %, bien que Bonnie and Clyde aient encore trop d’émules. Hélas, les féminicides viennent ternir ce beau tableau, car le conjoint en est l’auteur quatre fois sur dix.

Je n’ai mentionné que des études ayant éliminé les facteurs de confusion. Il s’agit donc bien de fortes corrélations sanitaires, lesquelles ne présument en rien des avantages et inconvénients du célibat en d’autres domaines.

Bibliographie

Imprudence clinique

vendredi 3 février 2023

L’intelligence artificielle (IA) est médiatisée comme une révolution. Les calculatrices de poche des années 1960 n’ont pas été commentées avec la même béatitude alors qu’elles étaient un premier miracle de l’IA, capables de faire mieux et plus vite que nous toutes les opérations mathématiques. Je ne peux plus m’en passer et je dois avouer que mon stylo sait encore effectuer les 4 opérations de base, mais ne sait plus extraire une racine carrée.

Depuis que l’échographie me donne la position du placenta et du bébé, mes mains ont perdu leur habileté obstétricale. Je fais une IRM cérébrale dès l’apparition du premier signe clinique neurologique. Cela me désole un peu, mais le progrès m’émerveille, il m’époustoufle. Si j’étais en fin d’études aujourd’hui, je me spécialiserais dans le décryptage génétique des maladies rares ou la radiologie interventionnelle et j’éviterai prudemment la traumatologie, la médecine environnementale, l’anesthésie, la psychiatrie ou encore la gériatrie. 

L’acquisition de mon premier dermatoscope a diminué mon inquiétude devant les suspicions de mélanome. Et lorsque j’étais trop inquiet, je demandais l’avis du dermatologue qui en avait vu cent fois plus que moi : sa base de données cérébrale était supérieure à la mienne. Aujourd’hui, la base de données du dermatologue est dérisoire comparée à celle de l’IA ; je n’ai plus besoin de lui, une photo avec mon smartphone me suffit. Cependant, je m’inquiète à nouveau, car si le dermatologue perd aussi son expertise, il ne pourra plus contrôler mon smartphone.

C’est ma seule véritable inquiétude. Qui contrôlera l’IA ? Les marchands ou les experts. Quelle intelligence artificielle nous dira s’il est vraiment utile de dépister les mélanomes ? De fanatiques transhumanistes ou de sages experts qui en constatent déjà l’inutilité.

Je crois connaître la réponse. Lorsque les essais cliniques ont été labellisés dans les années 1960, les institutions n’ayant rapidement plus eu les moyens d’en assurer la charge financière, les industriels en ont pris le monopole. Ce sont eux qui détiennent désormais les bases de données et les moyens de les exploiter. Mais tout est pour le mieux, car leurs clients occidentaux n’aiment pas la clinique des signes, ils aiment la thérapeutique, ils n’aiment pas le temps de l’indétermination.

L’IA ne sait pas encore que l’imprudence est une vertu clinique, que l’observation patiente et inopinée reste un excellent moyen d’améliorer la connaissance de l’histoire naturelle des symptômes, des maladies et de leurs porteurs.

La meilleure décision thérapeutique est celle qui repose à la fois sur les données de la science, le pragmatisme des patients et la connaissance irrationnelle et toujours imprudente des soignants.

L’IA sera toujours meilleure que les médecins pour le diagnostic du mélanome et la surveillance d’un traitement par insuline ou anticoagulants. Pour le reste, les bases de données devront intégrer le pragmatisme et l’irrationnel… Attendons encore un peu… 

Références