Archive pour février 2021

Cibler le syndrome de sevrage

vendredi 19 février 2021

Fut un temps où le marché consistait à fournir aux clients ce dont ils avaient besoin pour survivre. Le marketing a pris son essor lorsque l’offre a dépassé la demande, son art fut d’élargir le domaine de l’indispensable. Couteau à beurre, ouvre-boîte électrique, bas-résille, rameur d’appartement, voyage organisé ou vidéo-surveillance sont alors devenus nécessaires. Mais devant nos caves et greniers, saturés d’objets nécessaires, rapidement destitués et jamais renouvelés, les experts de la mercatique ont dû innover pour parvenir à des nécessités irréversibles. Cibler l’addiction et le syndrome de sevrage devenait le but suprême.

L’abandon de la trottinette électrique ne dérègle pas la physiologie, celui de la montre connectée ne perturbe pas l’équilibre psychique. Inversement le sevrage des jeux-vidéo ou des benzodiazépines peut être douloureux ou dangereux. Tabac, alcool, bombons et sodas avaient déjà usé des rouages mercatiques de l’addiction, sans génie et sans gloire.

La palme revient à la pharmacie qui a su générer des syndromes de sevrage où nul ne les attendait. Nous connaissons bien les dégâts des opiacés que l’angélisme du soin a cru non addictogènes. Plus subtile est la dépendance aux somnifères et tranquillisants qui est passé d’un mois avec les barbituriques à moins de deux semaines avec les benzodiazépines.

Le syndrome de sevrage aux antidépresseurs de type ISRS est beaucoup plus raffiné, leur manque ne provoque aucun trouble physiologique, mais leur arrêt majore les angoisses, et l’état psychique devient pire que celui qui avait motivé la prescription : preuve irréfutable qu’il fallait bien en prendre. Aucun vigneron n’aurait osé dire que le vin est le meilleur traitement du delirium tremens.

Plus machiavéliques sont les antiacides gastriques dont l’arrêt provoque un rebond acide, ou les statines dont l’arrêt majore le risque cardio-vasculaire que l’on voulait éviter. Autant de preuves de leur nécessité ! Les antimigraineux transforment les céphalées aigues en céphalées chroniques, donc à plus de dépendance. Devant la menace des thérapies comportementales, bien plus efficaces, les marchands essaient de capter une clientèle de plus en plus jeune, jusqu’à suggérer la prescription d’antimigraineux en cas de pleurs incessants du nourrisson, car ces coliques ont une corrélation avec la migraine chez l’adulte. Aucune loi n’oblige la notice des médicaments à préciser que le pire des effets indésirables est de commencer…

Commencer le plus tôt est le mieux, les embryons et les fœtus sont les plus captifs, quand leur mères sont traitées ils font des syndromes de sevrage aux psychotropes après la naissance et deviennent les meilleurs candidats pour de futures dépendances pharmacologiques. Mercatique transgénérationnelle à laquelle ne peuvent même plus rêver les marchands d’alcool et de tabac. Heureusement que le cannabis thérapeutique va pouvoir enfin régler tous ces problèmes, comme le dit la publicité.

Références

Plusieurs fois cinq ans

jeudi 4 février 2021

Les lois de la sélection naturelle sont si simples qu’un enfant de 5 ans peut les comprendre. Qu’on m’amène alors un enfant de 5 ans, aurait répondu Groucho Marx. Pourtant beaucoup d’adultes, même savants, oublient que le hasard est le premier élément de ces lois. Il est erroné de dire que les éléphants d’Afrique ont des défenses de plus en plus courtes pour échapper aux trafiquants d’ivoire. Non, l’évolution n’a ni stratégie ni finalité, elle n’est pas téléologique, pour employer un gros mot. Le hasard des mutations fait varier la longueur des défenses et ceux qui ont les plus courtes défenses échappent plus souvent aux massacres et augmentent d’autant leurs chances de reproduction, donc leur nombre relatif.

Les virus sont beaucoup plus petits que les éléphants, les enfants de 5 ans peinent à comprendre qu’ils répondent pourtant aux mêmes lois. Parmi toutes les caractéristiques des éléphants, l’ivoire est celle qui intéresse le plus l’homme. Parmi toutes celles du virus, seules deux nous intéressent : la virulence et la contagiosité. Allez savoir pourquoi !

Si les éléphants se suffisent à eux-mêmes pour se reproduire, les virus en sont incapables, c’est pour cela que la contagiosité est le meilleur moyen d’augmenter leur progéniture. Je sens qu’un adulte attentif va en profiter pour me dire que la reproduction est donc une finalité de l’évolution. Comme je n’oserai pas lui répondre que c’est juste une caractéristique de la matière vivante, de guerre lasse, je lui dirai que je suis d’accord. Donc le virus se fout de sa virulence, seule sa contagiosité importe pour sa reproduction. La virulence n’est pas une bonne chose, car elle est aussi visible que les défenses pour un éléphant. La contagiosité c’est le Graal.

Revenons donc au hasard des mutations. Virus ou éléphants, l’aléa est toujours le même, Si une mutation rend un virus plus virulent, il se reproduira moins que les plus discrets, au mieux, son hôte s’immobilisera au fond de son lit, au pire, il mourra avec son hôte. Adieu la contagion. Ça, un bon nombre d’adultes l’on déjà compris. Bravo !

Imaginons maintenant qu’une mutation augmente la contagiosité, ce ne sera qu’un léger avantage pour un virus très discret, mais l’avantage sera plus important pour un virus moins discret dont les hôtes font tout pour limiter la propagation. Ainsi, dans le cas où il y a de fortes barrières à la contagion, les mutants les plus contagieux ont moins de concurrents et plus de chance d’accès à la reproduction.  Il faut juste espérer qu’une mutation de majoration de la virulence ne se produise pas chez un de ces mutants sélectionné par nos gestes barrières.

Ce ne serait même pas une vengeance contre ceux qui veulent le contrarier, ni un caprice ; ce serait juste l’évolution qui optimiserait sa reproduction. Cela est plus difficile à comprendre, même par ceux qui ont plusieurs fois 5 ans.

Référence