Archive pour janvier 2021

Irrémédiable immunosénescence

jeudi 28 janvier 2021

Certains d’entre vous l’ont remarqué, lorsque les années s’accumulent, l’aspect de la peau se modifie. Diminution progressive des fibres élastiques, de l’acide hyaluronique, des cellules souches et des divisions cellulaires. Sans savoir tout cela, les plus ignares en biologie peuvent évaluer l’âge d’une personne avec un risque d’erreur de moins de 10% rien qu’en regardant son visage.

Au niveau des cartilages, des tendons et des muscles, les mêmes dégradations cellulaires se produisent accompagnées des douleurs et ankyloses diverses qui rythment la vie des séniors. 

Aucun système, aucun organe, aucune muqueuse n’échappe à cette dégénérescence. La sénescence des cellules est irrémédiable, car les processus physiologiques qui la sous-tendent permettent aussi de protéger les jeunes cellules contre les tumeurs. Entre prolifération cellulaire infinie et vieillissement cellulaire, la nature a trouvé un compromis pour éviter que nos organismes multicellulaires ne se transforment en énormes cancers.

C’est probablement parce que la dégradation du système immunitaire est moins visible que celle de la peau ou des cartilages que certains esprits frustes ont pensé pouvoir vacciner jusqu’à des âges canoniques contre les maladies qui tuent à ces âges-là. Force est de constater que le système immunitaire n’a pas miraculeusement échappé aux processus de la sénescence, puisque les vaccins faits aux enfants entraînent la suppression définitive des maladies visées, alors que la vaccination antigrippale ciblant les personnes âgées n’a pas beaucoup modifié le profil épidémiologique de cette maladie. Moi qui suis pourtant un inconditionnel défenseur de la vaccination, je m’étonne de cet acharnement annuel, sur un système immunitaire plus vieux d’un an à chaque fois.

Une solution, d’élégance incertaine, est de vacciner les enfants contre des maladies qui ne les tuent pas, pour empêcher ces maladies d’atteindre le séniors. Certains le proposent déjà pour la grippe et le SarsCov2.

Il existe actuellement plus de 300 vaccins à l’étude, certains contre des cancers, d’autres contre l’Alzheimer, la schizophrénie ou le tabac. Véridique !

Il serait cocasse de vacciner contre des cancers, des personnes âgées qui ont précisément atteint un grand âge car leurs processus de sénescence ont bien fonctionné et les ont protégées contre ces mêmes cancers. Vacciner les enfants contre ces cancers risquerait de provoquer un conflit avec leurs indispensables processus de sénescence. Vacciner des immunosénescents contre la maladie d’Alzheimer serait aussi ubuesque que d’en vacciner des enfants. Enfin, je reste pantois devant ceux qui pensent pouvoir éradiquer les maladies infectieuses qui tuent en fin de vie.  

Je pressens confusément qu’il va nous manquer de moyens pour contrôler les critères d’évaluation, les conflits d’intérêts et les objectifs de ces études et projets vaccinaux qui luttent conjointement, et sans concertation, contre la sénescence,  les cancers et les maladies infectieuses.

Références

Épiques équipées coronaires

mercredi 20 janvier 2021

Le cœur des humains semble trop gros pour les fines artères chargées de l’irriguer. Ces artères coronaires se révèlent aussi très sensibles au stress. Elles s’encrassent plus vite que les autres et sont particulièrement sensibles aux milles poisons du tabac.

Les ennuis que cause cette singulière tuyauterie ont incité les cardiologues à la déboucher, réparer, dilater, remplacer, récurer. Cette logique plombière est conforme à celle de leurs patients qui, pour déboucher leur lavabos, utilisent la ventouse ou la soude selon leur sensibilité mécaniste ou chimiste.  

Certains chirurgiens ont osé remplacer les coronaires par des artères mammaires, plus grosses, donc supposées plus efficaces. D’autres, plus aventuriers, les ont ouvertes pour les râcler. Dans les années 1960, elles ont été remplacées par des veines dont on espérait naïvement qu’elles pourraient se transformer en artères.

Toutes ces chirurgies lourdes nécessitaient une circulation extracorporelle. L’exploit technique masquait les maigres résultats sur l’espérance de vie.

Cette médiocrité a enfin été dénoncée lorsque les progrès de la miniaturisation ont permis d’aller fouiller dans les artères coronaires sans ouvrir le thorax. En 1977, un médecin eut l’audace de dilater une coronaire en gonflant un ballonnet fixé sur un cathéter. Idée saugrenue qui révolutionna la chirurgie coronaire, la faisant passer de la barbarie à l’orfèvrerie. Changement de statut qui a donné des ailes aux cardiologues et à leurs patients, sans jamais entamer leur logique plombière…

Les innovations se sont succédé à un rythme de paradis. On a remplacé le ballonnet par de petits ressorts (stents). Double avantage, pour les patients dont l’artère restait dilatée et pour les fabricants de cet acier inoxydable facturé à cinq millions d’euros le kilo. Puis, constatant que ces stents se rebouchaient presqu’autant que les artères, on les a enduit de produits chimiques pour limiter cet encrassement secondaire. On parla de « stents actifs », dont le coût, cinq fois plus élevé, se justifiait par l’alliance entre mécanique et chimie, conciliant les adeptes de la ventouse et ceux de la soude. Hélas, tout cela modifiait peu la mortalité coronaire. Aujourd’hui des armatures résorbables ont remplacé l’acier permettant de rendre, à terme, sa virginité morbide à l’artère coronaire.

Les cardiologues pourraient avec raison juger mes sarcasmes injustes. Qui ne tente rien n’a rien. Ces merveilles de technologie imposent le respect, et leur effet placebo sur les chirurgiens se répercute logiquement sur leurs patients. Mais comme je tiens à mon esprit critique autant qu’à mes coronaires, maintes publications m’ont confirmé que la chirurgie coronaire est une coûteuse futilité en termes de gain de quantité/qualité de vie.

Enfin, un ami cardiologue m’a confié que la suppression du tabac et des sofas est bien plus efficace, mais que sans eux, il serait au chômage.

Il m’a fait promettre de ne pas le répéter.

Références

Je suis un virus

lundi 11 janvier 2021

Il est difficile de se mettre dans la tête des virus : ils sont les plus éloignés de nous dans la généalogie du vivant et n’ont pas de tête. Néanmoins, ils répondent comme nous à la première loi de l’évolution : se reproduire et diffuser. Sur ces deux points, nous sommes experts parmi les vertébrés, ils le sont parmi les microorganismes. Notre supériorité est l’autonomie reproductrice, alors qu’eux dépendent d’un hôte pour se reproduire. L’évolution a compensé ce handicap majeur des virus par de multiples avantages patiemment sélectionnés, comme s’ils avaient finalement une « petite tête » dans laquelle je vais tenter de m’immiscer.

Je suis un virus. Mon hôte est tout pour moi : transport, nid, garde-manger, diffusion de ma progéniture. Je dois le chérir, le respecter, voire l’assister ou le protéger de mes méchants concurrents. Ma réussite est totale lorsque mon hôte arrive à ignorer ma présence. Je dois bien choisir l’espèce à coloniser, certaines m’éliminent vite, d’autres comptent trop peu d’individus – les ours blancs risquent d’être une impasse pour ma progéniture. La virulence est la pire des stratégies, car la mort de l’hôte signe la mienne. Je peux me permettre d’être virulent avec les bactéries, car elles se reproduisent souvent avant que je les tue. L’idéal est de coloniser plusieurs espèces, mais c’est ardu. Je sais utiliser les comportements de mon hôte au profit de ma diffusion. Les copulations des mammifères sont un excellent passeport d’un individu à l’autre. Le sang peut être utilisé chez les animaux qui se mordent, ou la peau chez ceux qui s’entassent dans la même niche.

Homo sapiens est le diffuseur idéal : des milliards d’individus qui se frottent à toutes les espèces et se mélangent de mille façons. Chez lui, je dois éviter les symptômes trop visibles qui le conduisent à se réfugier au fond d’un lit, gênant ainsi ma diffusion. Il a aussi ajouté des armes techniques à son armada immunitaire. Je dois alors savoir profiter des symptômes que j’ai parfois provoqué, malgré moi. La toux a longtemps été ma meilleure alliée pour passer d’un homme à l’autre. Mais maintenant qu’ils sont très nombreux et ne cessent de bouger, leur peau et leur respiration suffisent à garantir mon avenir sur toute la planète. Hélas, la discrétion devient difficile, car ils sont de plus en plus vigilants. J’ai beau sélectionner les moins virulents de ma progéniture, épargner leurs embryons et leurs enfants, les hommes cherchent maintenant à me détecter même quand ils n’ont pas de symptômes. Ils ont désormais des comportements imprévisibles, comme cesser de bouger, de se réunir, de se toucher ou de parler, jusqu’à bouleverser dangereusement leur écologie comportementale.

J’ai déjà commencé à sélectionner mes descendants les plus contagieux et ceux qui peuvent échapper à leurs tests. Mais la route sera longue, car les hommes vont jusqu’à accuser injustement ceux d’entre mes frères qui se sont malheureusement fourvoyés chez un mourant ou un hôte sans avenir.

Référence

Le babouin de Buffon

vendredi 1 janvier 2021

L’Histoire des sciences de l’évolution cite toujours l’impétueux Lamarck et le méticuleux Darwin, mais elle oublie souvent le pragmatique Buffon, véritable précurseur de la modernité dans les sciences de la vie et de la terre. Premier naturaliste à oser affirmer que les espèces se transformaient, il est aussi celui qui les a définies selon le critère unique de réussite de la reproduction. La définition d’une espèce comme un ensemble d’individus interféconds est toujours d’actualité. Écologue, avant l’heure, il a noté le rôle des oiseaux dans la dispersion des graines.

Buffon était convaincu que la Terre ne s’était pas transformée par une suite de catastrophes géologiques, comme on le croyait alors, mais que sa transformation était lente et graduelle. Il a suggéré, le premier, une possible dislocation et dérive des continents. Comme il possédait une forge, il a évalué l’âge de la Terre à près d’un milliard d’années, en extrapolant à partir du temps de refroidissement d’une boule de métal chauffé au rouge. Pour lui, le temps était le « grand ouvrier de la Nature ». Mais, pour la Monarchie et l’Église, l’âge officiel de la Terre était de 6000 ans, il n’osa donc pas publier ses travaux par crainte de perdre les subsides de ses protecteurs conservateurs et religieux.

Son plus grand talent a été celui de vulgarisateur. Ses 36 volumes de l’Histoire naturelle sont incontestablement le premier grand ouvrage de vulgarisation. Ses pairs lui ont reproché d’avoir trop voulu plaire au grand public. Il en est ainsi de certains chercheurs qui confondent rigueur et austérité. C’est pourtant grâce à Buffon que sont nées de nombreuses vocations de chercheurs et que les souverains du monde entier ont financé le Muséum d’Histoire naturelle de Paris dont il fit le plus beau musée de son époque et le plus dynamique centre d’enseignement et de recherche en sciences de la vie.

Sa seule « erreur » a été de refuser une quelconque parenté entre l’Homme et les animaux. Il a pourtant enfreint cette règle au moins une fois d’une amusante manière. Ruiné par le gestionnaire de sa forge, il dut passer par des bailleurs de fonds pour financer ses recherches. L’un d’entre eux, un soyeux lyonnais, nommé Babouin, lui intenta un procès pour le remboursement de ses créances. Il s’est vengé dans la rédaction de son Histoire naturelle, en donnant le nom de « babouin » au singe cynocéphale que chacun connait, et il en fit une description abominable. Les naturalistes ignoraient alors la pratique de l’infanticide chez certains mammifères et primates. Or le babouin est l’une des espèces ou l’infanticide pour soumettre les femelles est un comportement fréquent. Si Buffon l’avait su, ne doutons pas que sa description eut été encore plus abominable.

Comme les croyances religieuses ou les soumissions politiques, les problèmes financiers peuvent pervertir la science. Buffon, qui refusait toute ascendance commune entre hommes et singes, a fait descendre le babouin d’un soyeux lyonnais !

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