Archive pour décembre 2020

Tapettes à mouches

lundi 21 décembre 2020

Dans les années 1990, après avoir constaté la similitude entre la maladie de la vache folle et la maladie rare de Creutzfeldt-Jakob, 5 millions de bovins ont été abattus. Puis, les contestations des paysans et la connaissance des prions ont conduit à un abattage plus sélectif. Chaque nouveau mutant de grippe aviaire conduit à l’abattage de dizaines de millions de poules, canards, dindes et autres volailles. Ce sont là des animaux domestiques dont la surproduction est la cause des maladies. La logique économique engendre une punition économique : rien que de bien « naturel ».

 Mais en 2014, une épidémie de brucellose chez les bouquetins du Bargy a conduit à une campagne d’abattage, alors qu’on dénombrait un seul cas humain, non décédé. Les vétérinaires ont violemment réagi, car cette mesure risquait a contrario de disséminer la maladie ; les animaux fuyant au lieu de développer leur immunité de groupe.

Pendant que l’on sacrifiait la « nature sauvage » des bouquetins on réhabilitait celle des ours dans les Pyrénées. Laissant penser logiquement que les ours ne doivent pas porter de maladie transmissible, ou que l’économie des moutons est moins cruciale que celle des vaches.

On a tué des millions de renards chaque année pour lutter contre l’échinococcose, jusqu’à ce que les écologues vantent l’utilité des renards et que les médecins notent l’incidence négligeable et stable de cette maladie.

Les mouches ont aussi été victimes de cet engouement pour la protection de notre espèce. Elles sont les meilleures propagatrices des diarrhées à campylobacter. Les villages qui ont généralisé la pulvérisation d’insecticides ont vu l’incidence des diarrhées infantiles diminuer de 25%, par rapport aux villages qui ont épargné ces diptères. Ces banales gastro-entérites guérissent pourtant sans traitement et ne tuent jamais. Il y a de meilleures raisons d’exterminer les mouches : elles transportent quantité de dangereux parasites (sarcocystis, toxoplasma, isospora et amibes). L’éradication des moustiques, vecteurs du redoutable paludisme et autres fléaux, serait encore plus rentable.

Par contre, les chauve-souris, vecteurs de la majorité des viroses émergentes, bénéficient d’une totale impunité ; mieux, leurs diverses espèces jouissent du meilleur statut dans le programme de protection de la biodiversité. Si elles doivent cette faveur à leur statut de « cousin » mammifère, les bouquetins, innocents de tout homicide, auraient raison de hurler à l’injustice sanitaire. Les platanes rasés et les requins tués pour éviter l’encastrement de  motards et de surfeurs ont moins de protecteurs.

Enfin, les femmes enceintes jouent un rôle certain dans la transmission des maladies infectieuses, car leur immunité diminue naturellement pour tolérer leur fœtus à moitié étranger. Cependant, une limitation trop drastique des grossesses pourrait être préjudiciable à notre espèce.

Et une vie sans tapettes à mouches et sans vaches le long des trains paraîtrait vraiment longue.

Références

Végétariens et cancers

lundi 7 décembre 2020

Il n’est plus besoin de faire d’études pour prouver que la baisse de consommation de viande diminue l’incidence des maladies cardio-vasculaires. Le sujet ne fait plus débat depuis un demi-siècle. La diminution de consommation de viande et l’exercice physique ont contribué aux nouveaux gains d’espérance de vie constatés au cours des dernières décennies. 

Nous savons également que les régimes peu carnés diminuent le risque de cancer du côlon. Depuis quelques années, le nombre important de végétariens permet de faire des études de plus grande valeur statistique sur les effets de tels régimes sur la santé. La question des cancers a évidemment été abordée et il apparaît qu’outre le cancer du côlon, le régime végétarien diminue également des cancers aussi inattendus que celui du sein ou de la prostate. D’une manière générale, tous les risques de cancer sont abaissés de façon plus ou moins significative.

Les facteurs de confusion comme le tabac ont évidemment été pris en compte, et certaines études sont allées jusqu’à considérer d’autres facteurs de confusion tels que les traits de personnalité et d’autres éléments du mode de vie des végétariens raisonnables (hors véganes fanatiques). Par exemple, les femmes végétariennes prennent moins de traitements hormonaux de la ménopause et diminuent d’autant plus leur risque de cancer du sein.

Le plus amusant, si j’ose m’exprimer ainsi, est que les végétariens participent beaucoup moins aux programmes de dépistage organisé des cancers. Certains en concluront qu’ils sont alors porteurs de cancers méconnus qui se développeront tôt ou tard. Cette conclusion hâtive, quelque peu teinté d’idéologie pro-dépistage, est contredite par une mortalité globale par cancer plus faible chez les végétariens de tous âges suivis pendant longtemps.

Ce qui s’explique par le fait qu’une bonne part des cancers dépistés sont, soit de faux positifs, soit des cancers qui n’auraient jamais eu de manifestation clinique avant que la mort ne survienne par une autre cause.

Les végétariens ont donc moins de cancers cliniques, moins de cancers dépistés et moins de cancers virtuels ou infracliniques. Le bénéfice sanitaire de cette triple protection est encore plus grand que celui déjà constaté par la diminution de la mortalité. En effet, les angoisses liées à tous les dépistage et le couperet biographique que constitue une annonce de cancer aggravent la morbidité et la mortalité. On sait que tous les cancers, fussent-il cliniques, dépistés ou virtuels ont les mêmes répercussions psychologiques et biographiques. Nous n’irons pas jusqu’à encourager les végétariens dans leur insouciance diagnostique, car cela pourrait choquer l’académie. Nous devons tout de même les féliciter pour leur perspicacité sanitaire et leur sérénité face au destin pathologique, sans oublier de louer leur altruisme climatique.

Références

Cannabis thérapeutique pour tous

jeudi 3 décembre 2020

Il y a plus de trente ans, certains patients atteints de sclérose en plaques avaient constaté l’action favorable du cannabis sur leurs douleurs neuropathiques et leur spasticité. Ils ont alors modifié leur consommation pour passer d’un usage récréatif à un usage thérapeutique.

De là à supposer une action sur d’autres douleurs pour d’autres types de patients et de maladies, il y avait un fossé que les études n’ont pas comblé, mais l’idée était dans l’air. Combiner l’illégalité et les dangers du haschich avec l’éthique du soin avait de quoi exciter les commentateurs et déranger les législateurs.

Le processus habituel s’est alors enclenché. Le scenario en est classique, tous les cercles vicieux s’intriquent inexorablement : l’embarras des législateur catalyse l’excitation des commentateurs, l’hésitation des cliniciens majore les douleurs des patients, la prudence des politiques fédère toutes les impatiences. Quant aux marchands, ils n’ont besoin ni de complotistes, ni de lobbyistes, la démagogie sanitaire suffit – comment négliger la moindre douleur ? – Plus prosaïquement ils attendent la fusion entre l’énorme marché du cannabis et le colossal marché de la douleur.

Depuis environ 5 ans, malgré quelques polémiques, les lois s’assouplissent au rythme de l’essoufflement des législateurs, et chacun comprend que le cannabis thérapeutique va se banaliser. De grands financiers, producteurs de cinémas ou autres viticulteurs ont déjà investi dans des hectares de cette herbe prometteuse.

Les résultats concluants des effets du cannabis sur la douleur chronique se font toujours attendre, par contre, nous connaissons très bien son rôle dans le déclenchement et l’aggravation des psychoses. Nous connaissons les effets néfastes de la marijuana en cours de grossesse sur le nouveau-né et ensuite sur l’allaitement. Nous mesurons ses effets délétères sur le QI.

L’histoire va donc se répéter, la médecine en est coutumière, cela s’appelle « l’extension des indications », transformant un rapport bénéfices/risques éventuellement positif pour quelques individus en un rapport négatif pour la santé publique. La morphine était classiquement réservée aux agonisants et aux douleurs du cancer, son extension à des douleurs banales a provoqué la plus grosse catastrophe sanitaire de l’histoire moderne. Le cannabis, jadis utilisé par quelques patients hardis souffrant de sclérose en plaques, va devenir le nouvel antalgique à la mode.

Et les médecins dans tout cela ? Leur position est ambiguë, les souffrances  physiques et morales sont l’essentiel de leur gagne-pain, mais leur échec en ce domaine est patent. Ils se partagent cependant en deux camps. La majorité est silencieuse, elle a consenti passivement à la grande fabrique des addictions : barbituriques, benzodiazépines, ISRS, opiacés, et maintenant cannabis. La minorité résiste toujours un peu au début, mais nul ne peut échapper à la modernité.

Références