Archive pour novembre 2019

L’allégé fait grossir

vendredi 15 novembre 2019

Dans chaque pays existe une parfaite corrélation entre les chiffres de vente d’aliments allégés (light) et le pourcentage de citoyens en surpoids et d’obèses morbides. Cette constatation, sans idée préconçue, peut conduire à deux conclusions très différentes.

Les uns trouveront logique que la vente de produits light se développe lorsque l’obésité augmente. Les autres concluront que le light n’a aucun effet sur l’incidence de l’obésité. L’idée première du commerçant est de voir le light comme un marché porteur dans un pays ou l’obésité est fréquente. Alors que le constat du clinicien est de voir l’échec des produits allégés sur la réduction d’incidence de l’obésité.

Ces deux conclusions sont exactes et chaque observateur peut se féliciter de sa logique. Oui, le light est un marché porteur. Non, le light ne sert à rien.

Mais dans l’imbroglio des relations entre le commerce sanitaire et les sciences biomédicales, il serait surprenant que des conclusions aussi instinctives puissent être validées par la science.

La vérité est en effet plus complexe : le light fait grossir.

Les marchands peuvent se réjouir d’une telle conclusion favorisant un marché circulaire qui prospère du seul fait de son existence (comme ceux des sucres, jeux-vidéos, psychotropes, ou déodorants qui s’autopromeuvent par la dépendance qu’ils créent). Par contre, les cliniciens doivent s’alarmer de cette découverte contre-intuitive puisque leur prescription devient alors nuisible aux patients.

Après avoir montré que le traitement de l’obésité ne peut passer ni par des alicaments, ni par des médicaments, la science a cherché à comprendre le paradoxe du light qui fait grossir. Elle a déjà plusieurs réponses.

Les édulcorants de synthèse sont non seulement inefficaces, ils sont aussi nuisibles en favorisant l’intolérance au glucose par un mécanisme probablement lié à des modifications du microbiote.

Chez les enfants, les boissons light au goût sucré sont encore plus toxiques que les boissons sucrées, car elles affectent encore plus négativement et plus durablement leur comportement alimentaire. Chez l’adulte les sodas light favorisent l’insulino-résistance et le diabète de type 2. Chez les femmes enceintes, elles augmentent, en sus, le risque d’accouchement prématuré pour des raisons encore imprécises.

Enfin la physiologie éclaire ce paradoxe. Un édulcorant de synthèse émet dans la bouche un signal sucré qui informe l’organisme d’une arrivée prochaine de sucre, il mobilise donc l’insuline et limite la libération des réserves de sucre ; et comme l’apport sucré n’a pas lieu, il s’ensuit une authentique hypoglycémie qui stimule l’appétit. Ce qui n’était pas le but !

J’en profite pour disculper la majorité des obèses qui ne sont pas responsables de leur obésité, car cette pathologie se forge avant l’âge de 6 ans et même dans la vie intra-utérine. Pardonnons aussi aux parents auxquels on n’avait pas dit que le Bon Dieu a mis Homo sapiens debout pour qu’il ne cesse jamais de marcher.

Références

Sélection naturelle de la mauvaise science

mercredi 6 novembre 2019

Le système actuel de publication en biomédecine favorise et encourage les résultats faussement positifs et ignore les résultats négatifs. Cette médiocrité méthodologique persiste dans les articles des plus prestigieuses revues médicales malgré les alertes répétées et une réelle volonté de changer les choses.

La persistance d’une telle médiocrité résulte donc forcément d’autre chose que de l’incompréhension ou de la corruption. C’est ce qu’ont démontré Smaldino et McElreath dans leur fameux article.

En réalité, de multiples mesures incitatives conduisent à une « sélection naturelle » de la mauvaise science, sélection que ces auteurs démontrent sur le modèle même de la biologie évolutionniste. En médecine hospitalo-universitaire, l’avancement professionnel passe fort peu par l’expertise clinique ou relationnelle, mais essentiellement par les publications. La conception des essais et les méthodes d’analyse ne sont pas déduites du chevet des patients mais elles sont choisies pour une future publication qui répondra aux normes et exigences des financeurs et des revues qui en dépendent.

Les deux auteurs font une méta-analyse de la puissance statistique sur 60 années de publications et montrent que cette puissance ne s’est pas améliorée malgré les démonstrations répétées de la nécessité de l’accroître. Ils élaborent ensuite un modèle dynamique de communautés scientifiques et montrent que les laboratoires les plus « normatifs », c’est-à-dire ceux dont les méthodes de recherche sont « dictées », sont logiquement les plus « performants » en termes de publications. Et poursuivant sur le modèle de la sélection naturelle, ils montrent que ces laboratoires ont la plus grande « progéniture », c’est-à-dire plus d’étudiants qui ouvriront leur propre laboratoire sur le même modèle. Cette sélection pour un rendement élevé conduit à un lent processus de détérioration méthodologique et à des taux de fausses découvertes de plus en plus élevés.

Ce biais se poursuit dramatiquement dans les comités de recherche destinés à élaborer les bonnes pratiques médicales. Les articles ne sont pas critiqués, voire pas lus, seul compte leur facteur d’impact et les notifications aux agences de presse.

Pourquoi l’amélioration des méthodes de recherche est-elle plus lente en biomédecine qu’en aéronautique ou en électronique ? Car la sanction des erreurs y est moins spectaculaire que ne l’est un crash aérien ou une panne informatique, tout particulièrement pour les maladies dites « chroniques » où l’évaluation est devenue pratiquement impossible.

Ces maladies tumorales, psychiatriques, cardiovasculaires et neurodégénératives sont devenues logiquement la cible du marché, car exagérément la cible de l’espoir. Mais n’espérons pas améliorer les méthodes de recherche les concernant, tant que l’on n’aura pas opéré un changement brutal, radical, violent, menaçant, au niveau institutionnel.

Références