Archive pour janvier 2018

Thériaque : le grand retour

mardi 30 janvier 2018

Depuis Galien, la thériaque a été proposée par les apothicaires comme remède à tous les maux. La composition de ce mélange de plus de cinquante plantes aromatiques et produits ésotériques a varié au cours des siècles, mais elle contenait immanquablement de l’opium qui en résumait à lui seul toute l’efficacité.

Ce même opium expliquait aussi l’engouement des patients pour cette panacée qui a fini par être retirée du Codex à la fin du XIX° siècle sans que personne n’ai jamais cherché à dénombrer le nombre de ses victimes.

L’opium ayant ainsi disparu du soin quotidien, divers antalgiques sont venus au secours des douleurs physiques, et il a fallu attendre les psychotropes et les hallucinogènes pour tenter d’apaiser les douleurs morales. Tout cela avec une surveillance médicale plus stricte : la morphine et les opiacés étant exclusivement dédiés aux douleurs cancéreuses et aux patients en fin de vie.

Hélas, rien ne peut suffire à endiguer le flot des souffrances, et nul ne sait longtemps tenir le marché éloigné de cette manne.

Vers la fin des années 1980, les indications de la morphine ont été étendues à divers types de douleurs. Lorsqu’avec plusieurs généralistes, nous avons alerté sur le risque d’abus, nous avons été qualifiés de rétrogrades par rapport au modèle anglo-saxon. Les centres antidouleur, soi-disant spécialisés, n’ont pas diminué le nombre des souffrances, mais ont largement contribué à augmenter le nombre des addictions. En 2014, les agences du médicament se sont enfin inquiétées de cette toxicomanie sur ordonnance. Pourtant, notre sécurité sociale continue à rembourser, envers et contre tout, les plus addictogènes des drogues, pendant que le flot des souffrances grossit irrémédiablement.

Aujourd’hui, le gouvernement américain s’inquiète des 200 morts quotidiens par intoxication aux opiacés de prescription médicale. Nous ne pouvons que nous attrister d’avoir eu raison. Mais soyons certains qu’il y aura bientôt un tout nouvel argumentaire pour nous accuser encore de barbarie face à la grande douleur de nos concitoyens. En tant que médecin, j’ai honte de notre impuissance devant la souffrance, mais je m’enorgueillis de ne pas l’avoir aggravée.

Je propose lâchement que toutes les thériaques à venir soient en vente libre, afin que la médecine ne soit plus le point de convergence de toutes les souffrances et que les médecins ne soient plus les premiers pourvoyeurs des nuisances qui en découlent.

Références

Curages internes

mardi 23 janvier 2018

Tous les animaux pratiquent, à leur façon, une hygiène corporelle dans le but de limiter les agressions des microorganismes. Ayant tôt reconnu ses bénéfices sur la santé infantile et la durée de vie, toutes les sociétés humaines ont ritualisé l’hygiène (ablutions, fumigations, exclusions alimentaires, bénédiction de l’eau, etc.).

Ces rituels ont parfois dérivé vers des comportements pathologiques : le lavage compulsif des mains ou les excoriations par extraction d’illusoires parasites sont les plus connus des troubles obsessionnels.

La phobie des microorganismes a également été l’objet de récupérations commerciales. Les détergents introduits dans les savons et shampooings sont à l’origine de multiples pathologies cutanées et capillaires, souvent aggravées par de nouveaux traitements antiseptiques.

Ces utopies stérilisatrices ne se sont pas limitées à l’hygiène corporelle externe, elles ont investi les orifices et les muqueuses internes. Et, comme souvent, c’est la femme, déjà désignée comme impure par plusieurs rituels religieux, qui a été la première victime des incantations commerciales. L’hygiène dite « intime » a généré des foisons d’ovules, poires et instillations destinées à purifier la muqueuse vaginale. Une certaine façon de purifier l’origine du monde ! Ce toilettage intime a provoqué d’interminables vaginites, mycoses et leucorrhées dont la fréquence a, depuis longtemps, dépassé celle des maladies vénériennes.

Le conduit auditif externe (CAE) a été le deuxième orifice ciblé par l’hygiène interne. Le coton-tige, inventé en 1923, a fait tant de victimes, pour une absence totale de bénéfice, qu’aucun législateur ne pourrait, aujourd’hui, en accepter la mise sur le marché. Au-delà du compactage du cérumen avec ses bouchons douloureux et difficilement extractibles, le coton-tige est la première cause de perforations tympaniques, d’otites externes et de blessures du CAE. Les victimes sont majoritairement les nourrissons et jeunes enfants. Les adultes ne sont pas épargnés, car le CAE est un succédané de zone érogène.

Les lavements rectaux sont hors de notre propos, car ils ne sont pas (encore) à visée hygiéniste. Ils sont un traitement exceptionnel (hélas addictogène) de la constipation.

La bouche est la plus ancienne des cavités accessibles à l’hygiène. Reconnaissons l’utilité de la brosse à dents pour limiter les caries consécutives à nos profonds bouleversements alimentaires. Aucun doute n’est permis : il faut bien se brosser les dents.

Mais, la brosse à langue est la dernière-née des fantaisies commerciales de l’hygiène interne. Proposée contre la mauvaise haleine, elle n’a aucun résultat sur ce problème d’origine plus profonde, mais elle entraîne de nouvelles pathologies en altérant les papilles gustatives et  le microbiote buccal. Cette brosse à langue a le mérite d’une égalité entre l’homme et la femme. Nous voici donc prêts pour la promotion des écouvillons urétraux et rectaux.

Références

Des dépistages inutiles aux dépistages dangereux

mardi 9 janvier 2018

La controverse sur les dépistages organisés des cancers ne cesse d’enfler. Après la prostate, voici le sein dont le dépistage de masse vient d’être définitivement mis à mal. Les administrateurs eux-mêmes estiment que son dépistage organisé sera abandonné dans 10 ans : le temps qu’il faut au ministère pour préparer l’opinion sans être accusé d’abandonner les femmes. Tous les efforts se reportent actuellement sur le dépistage du cancer du côlon, riche de promesses, et encore trop récent pour être correctement évalué.

Ici, notre propos concerne le cancer du poumon, pour lequel d’aucuns évoquent parfois subrepticement l’éventualité d’un dépistage organisé. Anachronique ténacité, puisque pour ce cancer-là, nous avons déjà suffisamment de preuves pour affirmer que son dépistage serait non seulement inefficace, mais probablement dangereux.

Tout dépistage de cancer infraclinique perd de sa pertinence au fur et à mesure que le traitement du cancer clinique s’améliore. Dans le cas du poumon, les progrès thérapeutiques chirurgicaux et médicaux ont permis de faire passer la médiane de survie de 6 mois en 1976, à presque 3 ans aujourd’hui ; ce qui, en cancérologie, est un résultat extraordinaire.

Les scanners thoraciques, de plus en plus fréquents dans nos pays, découvrent des milliers de nodules pulmonaires dont la plupart sont des incidentalomes (incidentalomes  http://lucperino.com/132/incidentalomes.html), mais ces « riens » nécessitent trois ans de surveillance avant de pouvoir affirmer leur bénignité. De plus, les méthodes actuelles révèlent 15% à 35% de faux positifs et 25% de cancers à évolution nulle ou lente : soit 40 à 60% de diagnostics erronés ou inutiles !

La probabilité de découvrir un vrai cancer asymptomatique et évolutif (seul bénéfice théorique du dépistage) est de 6% après 80 ans, et seulement de 0,5% avant 60 ans ! En outre, plus le dépistage est fait chez une personne jeune, plus grande est la probabilité de mourir d’une autre cause : 37% des plus de 85 ans et 98% des moins de 60 ans ne mourront pas de leur cancer du poumon!

Ajoutons que les personnes ayant connaissance de leur cancer du poumon ont un taux de suicide cinq fois plus élevé, avec un pic juste après l’annonce du diagnostic (vrai ou faux). Encore plus surprenant, le stress de cette annonce multiplie par 12 le risque de mort cardio-vasculaire dans la semaine qui suit.

Mais le plus grand de tous les risques, difficile à évaluer, serait d’encourager tacitement au tabagisme (puisque la médecine veille). Ce serait alors le premier dépistage qui, en plus de provoquer une épidémie de diagnostics inutiles, provoquerait aussi une augmentation de fréquence de vrais cancers. Un tel dépistage pourrait paradoxalement profiter au lobby du tabac !

Espérons que la collusion des « fuites en avant » ne permette jamais d’atteindre un tel degré de médicalisation sociale…

Références

Défendons vraiment la thérapie génique et la solidarité

mardi 2 janvier 2018

Pendant des décennies, la thérapie génique était réduite à de fascinantes théories : les obstacles pratiques semblaient insurmontables. En 1995, l’espérance de vie réduite de certains enfants immunodéficients a rendu acceptable le risque d’essayer ces thérapies. Depuis une dizaine d’années, on apprécie enfin quelques retombées cliniques, certes négligeables en nombre d’individus bénéficiaires, mais avec un gain réel de quantité/qualité de vie pour ces rares élus. Des expériences récentes dans la maladie de Huntington, l’hémophilie B, la drépanocytose ou la mucoviscidose suscitent de nouveaux espoirs.

Sans jamais crier victoire, ces recherches doivent être une priorité médicale, car l’un des fondements de la médecine est de réparer les injustices de la nature. Faciliter l’accès à de tels traitements est aussi un impératif politique, puisque l’essence de la politique est de diminuer les inégalités sociales. Le point de jonction entre la médecine et la politique porte un nom : c’est la solidarité nationale. Celle-ci doit profiter d’abord aux grands perdants de la loterie génétique.

Hélas, selon un rituel désormais courant, la recherche se détourne des maladies monogéniques pour lesquelles ces thérapies géniques ont été théorisées, pour s’intéresser à des maladies de la sénescence aux gènes inconnus  (DMLA, Alzheimer, voire maladies cardio-vasculaires ou arthrose) ! N’en doutons pas, ces dernières pistes vont être privilégiées par les industriels en raison de l’importance numérique de la cible.

Ainsi la question cruciale de leur coût va vite devenir rédhibitoire. En effet, si la protection sociale remboursait ces thérapies dans les maladies dégénératives et tumorales de la sénescence, cette démagogie conduirait irréversiblement à la faillite du système public, donc à la privatisation de la protection sociale.

Un choix politique  clair et courageux est devenu urgent pour préserver notre belle solidarité nationale et la réserver à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut dès maintenant refuser le remboursement de ces thérapies géniques déviantes et le réserver aux maladies monogéniques de l’enfance.

Les maladies de la sénescence peuvent présenter un intérêt de recherche fondamentale, mais son coût ne doit pas être supporté par la société. Ne doutons pas que les investisseurs et fondations privées seront nombreux à financer cette recherche ‘annexe’, car la promesse de l’immortalité  a toujours été un commerce très lucratif.

La sécurité sociale n’est définitivement plus compatible avec la démagogie ; elle n’a pas vocation à vendre l’illusion de l’immortalité. Continuer à rembourser des médicaments qui font gagner (ou perdre) quelques semaines de vie médiocre, reviendrait à condamner les enfants génétiquement pénalisés, à une deuxième pénalisation sociale.

A l’heure où les inégalités sociales se creusent, ne creusons pas les inégalités sanitaires et génétiques.

Références