Archive pour février 2017

Médecins acharnés ou sages

mardi 28 février 2017

La loi Léonetti a tenté de limiter les pratiques dites d’acharnement thérapeutique et autorisé à pratiquer des sédations profondes pour les malades en fin de vie.

Cette loi est assez mal appliquée en pratique, car la définition de l’acharnement thérapeutique reste encore à trouver. Et les débats sur ce thème s’achèvent souvent par un retour de chacun à ses convictions initiales.

Les médecins les plus « acharnés » ne manquent pas d’arguments : l’acharnement peut être source de progrès futurs, les patients réclament souvent les nouveautés thérapeutiques, les familles sont rarement réticentes à toute nouvelle tentative, etc.

Ces médecins sont probablement guidés en premier lieu par l’humanisme, l’empathie et le devoir de soins, mais il serait naïf de taire d’inconscientes considérations commerciales. La médecine est aussi un commerce, et il faut avoir beaucoup plus de honte à le cacher qu’à le dire. Les industriels font pression sur les médecins pour proposer des chimiothérapies coûteuses ne donnant parfois que quelques semaines de survie d’une qualité médiocre, et tous les médecins, hélas, ne sont pas vierges de conflits d’intérêts.

Puisque ce sujet est d’une extrême complexité économique et sociale, il est préférable de s’en remettre exclusivement à la science, en comparant les résultats cliniques. Les alternatives à l’acharnement sont ce que l’on nomme les soins palliatifs où l’on ne se préoccupe que des douleurs et du confort du patient. Plusieurs auteurs ont donc tenté de comparer ces chimiothérapies avec les soins palliatifs.

Les résultats sont quasi-unanimes, La durée de vie des patients est identique, voire supérieure, avec les soins palliatifs, et les patients ont une meilleure qualité de vie qu’avec les traitements actifs. Il faut ajouter qu’en cas de chimiothérapie, le désir des patients concernant leur lieu de fin de vie est beaucoup moins souvent respecté.

Mais, il y a pire que l’acharnement thérapeutique. Plusieurs patients âgés et porteurs d’un cancer évolué dont l’espérance de vie est inférieure à deux ans, se voient parfois proposer des dépistages pour un autre cancer. Faut-il en rire ? La machine médicale avance parfois sans chauffeur.

Ainsi, que les médecins appartiennent à la catégorie des « acharnés » ou à celle des « sages », ils doivent toujours préférer les soins palliatifs. L’argument des acharnés quant aux quelques semaines de survie qu’ils font gagner à leurs patients n’est statistiquement pas pertinent, et il n’est pas recevable cliniquement.

Références

Mais qui donc est prescripticide ?

mardi 21 février 2017

Les lanceurs d’alerte ou redresseurs de torts doivent avoir plus de rigueur scientifique et méthodologique que leurs cibles. Ceci est particulièrement vrai en médecine où, malgré quelques scandales retentissants, les activités médicales jouissent d’une image très positive, car il est insoutenable de penser trop longtemps que ceux dont les missions sont l’assistance et le soin puissent être falsificateurs, inconséquents, guidés par le lucre ou avides de pouvoir.

Au-delà de sa science et de ses résultats, le pouvoir biomédical actuel s’est accru de sa réussite commerciale, de ses capacités démagogiques et de ses collusions médiatiques, le tout démultiplié par l’a priori d’empathie et de bienfaisance dont bénéficient ses acteurs.

La méthode et les mots pour s’attaquer à de tels pouvoirs, doivent être de la plus grande précision, car la moindre erreur déchaîne les quolibets ou la vindicte. Rien n’est plus simple pour le lion que de faire accuser l’âne.

Critiquer la médecine sur l’imprécision de ses termes comme nous l’avons fait, par exemple, pour la confusion permanente entre facteur de risque et maladie, ou pour le mot « diabète » qui désigne deux entités totalement dissemblables, nécessite d’éviter soi-même les erreurs de terminologie.

Après cette envolée lyrique, j’en arrive à mon sujet du jour : le mot « prescripticide ». Ce mot est récemment apparu sur quelques « wiki » anglophones et réseaux sociaux pour désigner une prescription médicale qui tue.

Ceux qui souhaitaient ainsi, avec raison, vulgariser les dangers bien réels de la médecine auraient dû mieux réfléchir à l’étymologie.

Homicide, infanticide, fratricide, bactéricide et suicide désignent successivement le fait de tuer (cide) un homme, un enfant, un frère, une bactérie ou soi-même. Un prescripticide serait alors celui qui tue un prescripteur ou, de façon imagée, une prescription, c’est-à-dire exactement l’inverse du sens donné par les internautes à ce mot.

Le Mediator (par exemple) n’a pas été prescripticide (sauf pour lui-même), alors que ses prescripteurs ont perpétré des homicides (involontaires pour la plupart). Ce type d’homicide par les médecins est déjà bien désigné depuis l’antiquité par le mot « iatrogène » (provenant du médecin). On parle de pathologie iatrogène ou de mortalité iatrogène pour désigner les maladies et les morts provoquées par la médecine elle-même.

Les médecins et leurs prescriptions ne sont donc jamais « prescripticides », mais ils peuvent commettre des homicides iatrogènes. Occasion de rappeler ici que la mortalité d’origine médicale représente dans les pays occidentaux, la troisième cause de mortalité après les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Ce qui mériterait une longue réflexion méthodique et contradictoire pour laquelle il n’est besoin d’aucun mot nouveau. Un peu de science et de courage suffisent.

Références

Des ménagères aux patients

lundi 13 février 2017

Les radios de service public ont su épargner à leurs auditeurs les publicités pour ménagères de moins de cinquante ans. Les rares messages publicitaires proviennent d’ONG, fondations, mutuelles ou ministères. Nous constatons aussi que les sujets de santé sont de plus en plus nombreux : prévention (vaccinations, tabac), économie (génériques), dépistage (octobre rose). Récemment, quatre messages sanitaires se sont succédé sur France Inter avant le journal de 13h.

Le premier émanait d’une station thermale dont les bienfaits étaient démontrés par 60% des utilisateurs qui déclaraient moins souffrir de leur arthrose après la cure. Une preuve basée sur des réponses subjectives relatives à un symptôme subjectif, n’est pas une preuve. Bref, un message dépourvu de science

Le second message en provenance du ministère mettait en garde contre la transmission du virus grippal. Félicitons notre ministère de rappeler que l’hygiène est, de loin, le premier des progrès de l’infectiologie. Mais la grippe et sa prévention sont si rebattues que les cartes en deviennent brouillées. Bref, un message pourvu de suspicion.

Le troisième encourageait à poursuivre le dépistage du cancer du col par frottis vaginal après 45 ans. Ce dépistage a toujours été l’un des mieux suivis, et presque le seul dont les résultats sont peu contestables. Bref un message superflu (sauf Aà rappeler en filigrane le vaccin anti-HPV, ou à préciser que ce vaccin ne dispense pas encore du frottis).

Enfin, le dernier incitait à consulter le plus tôt possible un ophtalmologiste pour prévenir la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), responsable de cécité partielle. Ce message aurait certainement inspiré un sketch à notre regretté Coluche : « puisque cette maladie est liée à l’âge, le plus sûr moyen d’éviter ce diagnostic est de consulter quand on est jeune… ».

Malgré sa bouffonnerie, ce message avait une certaine franchise, car son auteur, Novartis, était clairement nommé. Ce laboratoire vend un médicament capable de ralentir un peu la progression de la DMLA chez 15 à 20% des patients. Ce traitement n’ayant aucun intérêt dans les formes précoces de la maladie, la supercherie sautait aux yeux (si j’ose dire) ; le but mercatique étant d’élargir la cible des consommateurs. En effet, nul ne peut s’attendre à une prévention philanthropique de la part d’un laboratoire qui a fait un scandaleux procès à l’Etat pour empêcher la commercialisation d’un médicament identique et 40 fois moins cher (25 € la dose au lieu de 1000 € !). Malgré les revenus de cette publicité, l’État ne pourra jamais récupérer les milliards d’euros que ce laboratoire lui a fait perdre. Bref un message insolent.

Certes, ce ne sont que des publicités. Mais quatre messages successifs, flous ou fourbes, à une heure de grande écoute, m’ont interpellé. Il ne faut pas prendre le risque de transformer tous les auditeurs en patients encore plus perméables que les ménagères de moins de cinquante ans…

Références