Archive pour février 2015

Indications du viol

vendredi 20 février 2015

Lorsque les historiens de demain jugeront la médecine d’aujourd’hui, ils relèveront le phénomène de « l’extension des indications » comme le plus marquant de la sociologie sanitaire des XX° et XXI° siècles. Et si l’épistémologie du soin était un jour enfin introduite dans l’enseignement des facultés de médecine, son objet principal serait certainement l’étude des ajustements entre risque de surmédicalisation et risque de négligence.

L’extension des indications a concerné et concerne encore tous les secteurs du soin. L’hypertension est traitée dix fois trop souvent après 40 ans et cent fois trop souvent après 70 ans. L’appendicectomie a été réalisée cent fois trop souvent à tort jusqu’aux années 1980. La quasi-totalité des amygdalectomies, adénoïdectomies, hystérectomies ont été abusives et inutiles. Les antidépresseurs et benzodiazépines sont mille fois trop prescrits. Les césariennes trois fois trop fréquentes, les déclenchements d’accouchement trente fois trop. Plus de la moitié des dépistages, bilans et imageries diverses conduisent à des diagnostics abusifs. Les antibiotiques sont dix fois trop prescrits. La crainte de la rarissime dyspnée laryngée provoque le traitement corticoïde de 50% des toux de nourrissons fébriles. Les anti-inflammatoires et antalgiques morphiniques sont cent fois trop prescrits. J’arrête là cette liste où j’ai volontairement minimisé les chiffres pour ne pas risquer une trop forte marginalisation.

La seule défense acceptable d’un médecin contre cette diatribe, serait celle du principe de précaution. Défense bien légère qu’un habile avocat retournerait contre lui pour dévoiler son incompétence clinique.

Récemment, suite à la proposition aberrante et heureusement vite oubliée d’apprendre aux étudiants l’examen gynécologique sur des patientes anesthésiées, certains sont allé jusqu’à évoquer l’accusation de viol.

J’ai la naïveté pour supposer et l’expérience pour savoir que les examens gynécologiques sur patiente anesthésiée sont pratiqués pour des raisons cliniques, et ont toujours lieu devant les membres de l’équipe chirurgicale qui entoure ces patientes.

Les juges, interpellés sur cette question du « viol symbolique », ont eu la sagesse de répondre qu’ils ignoraient ce qu’était un viol symbolique, mais par contre qu’ils avaient la définition pénale du viol : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Si le  majeur et l’index sont une « quelque nature » et si l’anesthésie est une « surprise », je n’ose pas penser ce qui se passerait si les juges se mettaient à pratiquer l’extension des indications judiciaires avec la même frénésie que les médecins pratiquent l’extension des indications médicales !

Revenir à la preuve clinique des médicaments

mardi 10 février 2015

Jusqu’aux années 1920, tous les médicaments efficaces étaient hérités de l’empirisme de générations de soignants. Les effets de la quinine sur les fièvres, de l’argile et du charbon sur les diarrhées ou de la belladone sur les douleurs abdominales étaient admis par tous les médecins.

Le premier médicament résultant de la connaissance physiopathologique d’une maladie fut l’insuline en 1921. Puis jusqu’aux années 1960, cette connaissance a produit les vitamines, les hormones, les antibiotiques et bien d’autres, avec un excellent niveau de preuve à court terme.

L’intérêt croissant pour des pathologies cardio-vasculaires, psychiatriques, métaboliques, neurodégénératives ou tumorales a changé la temporalité de la preuve. Il fallait désormais prouver l’action à long terme, par exemple, d’un anticoagulant sur le risque d’accident vasculaire. D’où la nécessité d’utiliser les statistiques pour passer d’une preuve individuelle, désormais impossible, à une preuve populationnelle. Ce qui nécessita des essais cliniques longs et coûteux avec de gros risques de biais et de falsifications.

Puis la compréhension des maladies progressant jusqu’au niveau moléculaire, on essaya de synthétiser des médicaments à partir de ces savoirs précis. Les premiers issus directement de l’analyse moléculaire furent les bétabloquants dans les années 1970. Mais cela ne suffisait pas à connaître leur action clinique. Ces médicaments destinés initialement à l’angor furent d’abord contre-indiqués dans l’hypertension et l’insuffisance cardiaque avant d’être indiqués dans les deux, suite aux preuves statistiques.

L’empirisme avait disparu pour laisser sa place à deux niveaux de preuve, le niveau théorique et le niveau statistique.

Aujourd’hui, la complexité de l’analyse moléculaire dans des domaines comme la psychiatrie ou la cancérologie empêchent toute forme de réductionnisme. Un médicament peut avoir une base théorique brillante et être dépourvu de tout effet clinique.

D’extraordinaires découvertes moléculaires dans le développement des tumeurs donnent lieu à des autorisations de mise sur le marché de médicaments offrant des survies nulles ou dérisoires, de l’ordre de quelques semaines.

Nous comprenons que les patients et leur famille puissent croire à ces espoirs enrobés de théories qui les submergent, mais comment les agences du médicament peuvent-elles à ce point, oublier la preuve clinique ?

Si le prix de tels médicaments était basé sur leur succès clinique, il serait tout aussi dérisoire. Il est hélas basé sur leur enrobage théorique et commence à amputer sérieusement le budget de la solidarité nationale.

Doit-on oublier la preuve clinique pour encourager la recherche fondamentale ?

Duper les patients d’aujourd’hui pour mieux soigner ceux de demain pourrait être acceptable si ces derniers peuvent encore accéder aux soins.

Allergies alimentaires : encore un problème de surmédicalisation

mercredi 4 février 2015

Depuis une à deux décennies, le problème majeur du soin dans nos pays est celui de la surmédicalisation : surdiagnostic et sur-traitement.

Ce problème ne fait jamais la une des médias, car la plupart des articles et sites médicaux destinés au grand public ressassent inversement que les maladies sont sous-diagnostiquées.

Les médecins, qui jusqu’à maintenant ne s’alarmaient pas trop de cette surmédicalisation, commencent à s’organiser en association pour réfléchir à ce thème et ils l’abordent dans leurs sociétés savantes.

On peut comprendre qu’ils aient tardé à réagir, car ce n’est pas à eux de scier leur propre branche, mais à ceux qui financent cette gabegie médicale.

Oui, l’hypertension, la dépression, l’hypercholestérolémie sont toutes largement sur-traitées. Oui, les cancers sont plus souvent sur-diagnostiqués que sous-diagnostiqués.

Il y a pourtant des cas où il est facile de savoir si une maladie existe ou pas, c’est lorsqu’elle est exclusivement clinique, c’est-à-dire lorsque les symptômes sont évidents et le diagnostic relativement facile. Il suffit alors de reprendre l’histoire clinique et le dossier du patient, et de  revérifier si le diagnostic appliqué pour la vie est toujours exact.

C’est ce qu’on fait des médecins pour 800 enfants suspectés d’allergie alimentaire. Seuls 35% d’entre eux, soit 280 avaient eu une histoire clinique méritant d’effectuer un test (IgE spécifiques). Pour la moitié de ceux-là, le test positif avait entraîné la prescription d’un un régime d’exclusion, bien que ces test soient connus pour les très nombreux faux positifs. Rappelons que ces régimes sont anxiogènes et qu’ils altèrent la qualité de vie de toute la famille.

Parmi ceux qui suivaient un régime, le diagnostic a été contesté dans la moitié des cas.

Pour 90% des enfants, l’aliment suspect a été réintroduit sans problème !

La valeur prédictive positive des tests a été évaluée à seulement 2,2% !

Le test de provocation orale, qui est le test diagnostique le plus simple et le plus précis, n’a été positif que dans 6% des cas !

Assurément, que ce soit en cancérologie, en cardiologie, en endocrinologie, en psychiatrie et désormais en allergologie, le problème actuel de la santé dans nos pays n’est pas celui du sous-diagnostic, mais bien celui du surdiagnostic.

Est-ce que parce que les médecins voient leur branche se casser qu’ils commencent à s’intéresser à la surmédicalisation ou parce qu’ils craignent que les dépenses pour les bien-portants finissent par amputer le budget pour les vrais malades ? Sans doute un peu les deux, dans l’ordre que l’on estimera adéquat pour chacun d’entre eux.

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