Archive pour septembre 2014

Fiction de dépistage anténatal

lundi 15 septembre 2014

Le dépistage anténatal devient de moins en moins traumatisant. Le nouveau progrès est celui de l’analyse directe de l’ADN sanguin maternel pour déceler les anomalies de l’embryon.

Malgré quelques ultimes réticences éthiques, évoquant un eugénisme médical et technologique, on peut logiquement s’attendre à voir disparaître progressivement la trisomie, la mucoviscidose et d’autres graves maladies génétiques. Nul ne peut réellement s’en plaindre.

Après avoir identifié toutes les maladies chromosomiques et monogéniques, les fulgurants progrès de la génomique permettent désormais d’établir des séries de mutations et polymorphismes génétiques positivement corrélés à de nombreuses pathologies. Pour l’instant, ces analyses complètes de génome (GWAS) n’ont aucun impact clinique. Les interminables listes de mutations associées à l’Autisme, au Parkinson ou à l’Alzheimer s’apparentent plus à un fiasco qu’à un progrès de la génétique. Le polygénisme est devenu tel que chaque facteur perd progressivement du poids par rapport aux facteurs environnementaux, souvent eux-mêmes nombreux et mal connus.

Malgré cela, le marché de ces analyses génomiques, promu par des gourous de l’immortalité, est très prometteur. Les ministères qui en rappellent régulièrement l’inutilité et les dangers des deux côtés de l’Atlantique, ne font aucun poids face à la puissance mercatique d’un géant tel que Google qui en est l’un des pionniers. (Notons au passage que l’espérance de vie est plus faible, et diminue, dans les pays où ces marchés existent depuis longtemps !)

Amusons-nous alors à faire de la mercatique fiction. Pour sortir de l’imbroglio du polygénisme, la technique commerciale de ces « génomeurs » est de choisir arbitrairement l’une des mutations pour la métamorphoser en un déterminant majeur de la maladie afin de proposer un test. L’histoire de la détection de l’autisme est la plus révélatrice de ce genre de manœuvre.

Il ne fait aucun doute que l’on proposera un jour des packs de dépistage néonatal associant les grandes maladies monogéniques et le génome complet. Même sans remboursement, il y aura beaucoup de clients. On fournira indifféremment aux parents, le risque de mucoviscidose ou d’Alzheimer de leur futur enfant. On leur proposera un petit supplément pour la longueur des télomères supposée indiquer l’espérance de vie.

Les parents dont l’enfant aura un risque de développer une maladie d’Alzheimer avant soixante-dix ans décideront-ils d’un avortement thérapeutique ? Ils auront certainement besoin du soutien d’un comité d’éthique pour savoir si l’intérêt de la vie après cet âge justifie ou non de sacrifier les soixante-dix ans qui précèdent.

Enfin, devant le risque insensé d’avoir des télomères trop courts, il faut envisager soit une stérilisation définitive, soit de ne jamais faire d’analyse génomique !

Références

Rencontre insolite.

mercredi 10 septembre 2014

Au cours d’une promenade d’été, j’ai fait la rencontre la plus singulière de ma carrière. C’était au détour d’un sentier, dans un hameau de montagne.

J’ai une vieille habitude de moquer les excès de la médecine, la gabegie des soins, la démagogie de la précaution, les incitations à la dépense par la Sécurité Sociale elle-même, la surenchère des mutuelles dans le catastrophisme, et autres braderies de mon petit fonds de commerce.

Je ne vise personne en particulier, car nous sommes tous des acteurs galopants derrière un marché, loin devant. Mon humour n’y changera rien, et s’il peut en amuser certains, le rire leur sera remède. Voltaire l’avait compris qui avait « décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé ».

Médecins, ministères, laboratoires, tous ont eu droit avec équité à mes sarcasmes ponctués de réflexions. Mais là, je n’ai même pas envie de réfléchir, j’ai juste envie d’une dernière bouffée de rire avant les certificats médicaux de la rentrée, exigés par les assurances pour le sport à l’école.

Les fonctionnaires territoriaux n’étaient pas ma cible préférée, peut-être parce que j’ai parfois apprécié leur aide dans les soins de proximité. Les conseils généraux ont été les grands oubliés de mes sarcasmes, et au moment où j’apprends leur disparition prochaine, je leur dois bien cette reconnaissance tardive. Oui, ils participent comme les autres à la grande accélération des gabegies médico-sanitaires. Oui, dès qu’il s’agit de science biomédicale, ils tombent dans le panneau du catastrophisme avec le même patatras que leurs contemporains fonctionnaires ou marchands.

L’appareil était là, rutilant, exposé aux intempéries, sur le mur de l’une des cinq maisons de ce hameau de moins de dix âmes. Un défibrillateur public destiné à secourir une hypothétique victime de tachyarythmie ventriculaire.

La défibrillation externe pratiquée à l’hôpital, chez des patients sous surveillance intensive, a environ 50% de résultats positifs. Ce pourcentage chute au-dessous de 10% lors des appels d’urgence.

Les défibrillateurs implantables chez des patients à haut risque ont des résultats très modestes, difficiles à évaluer. Quant aux défibrillateurs externes à usage public, la plupart des publications datent du début des années 2000 et ne portent que sur les méthodes d’utilisation ; elles émanaient des fabricants pour convaincre les autorités. Depuis, très peu d’études ont publié des résultats crédibles ; de rares vies seraient sauvées lorsque ces défibrillateurs sont installés dans des lieux à forte fréquentation, tels que gares ou aéroports.

La probabilité pour que ce défibrillateur rural sauve une vie dans le millénaire à venir contient autant de zéros après la virgule qu’il y a d’atomes dans le système solaire…

En redescendant, j’ai croisé un berger édenté qui ne pouvait s’offrir les frais dentaires. Son conseil général ne pourra pas l’aider, car tous les huit ans, il faut remplacer ces défibrillateurs à obsolescence programmée.

Références