Archive pour août 2014

Faut-il abandonner les obligations vaccinales ?

lundi 25 août 2014

L’État français vient d’être condamné à verser une indemnisation de 2 400 000 € à une infirmière ayant développé une sclérose en plaques peu après une vaccination contre l’hépatite B.

Ce triste record révèle la faille entre justice et science et oblige à réfléchir à la communication vaccinale. Etant admises l’efficacité de la majorité des vaccins sur la santé publique et leur balance bénéfices/risques très positive, le but est d’obtenir la meilleure couverture vaccinale de la population. La question se pose avec plus d’acuité pour les nouveaux vaccins auxquels manque logiquement la preuve épidémiologique, quelles que soient les preuves initiales d’efficacité.

L’obligation vaccinale et la « propagande abusive » sont rejetées avec le même fanatisme par les lobbys anti-vaccins, lesquels n’auraient pas vu le jour sans l’erreur politique initiale de l’obligation. Mais on ne peut ni juger ni réécrire l’Histoire.

Les taux de couverture semblent indépendants du caractère obligatoire et dépassent rarement 90%, quelle que soit la propagande. Lorsque l’incidence des maladies était élevée, la crainte suffisait à promouvoir les vaccinations. Dans les années 1950, les parents se sont rués sur le vaccin antipolio, car ils connaissaient tous un enfant atteint. La vaccination est victime de son succès, car les maladies concernées sont devenues moins visibles, donc moins anxiogènes.

L’intense promotion du vaccin contre l’hépatite B, maladie encore fréquente en 1994, a entraîné une couverture de 70% en moins d’un an. Ce record absolu a permis aux lobbys d’établir plus de corrélations entre les poussées de sclérose en plaques et le vaccin, car plus l’on vaccine de personnes en un temps bref, plus il est facile de découvrir de corrélations fantaisistes.

Pour des vaccins tels que ceux contre papillomavirus ou rotavirus, la publicité est inutile, car l’épidémiologie de ces maladies n’étant pas explosive, une mise en place très progressive suffit ; pire, une promotion abusive devient contre-productive pour d’autres vaccins indispensables.

Curieusement, dans nos démocraties libérales, les obligations sont plus mal vécues que les prohibitions. Les interdictions de fumer suscitent moins de réticence que la mémorable propagande du vaccin H1N1. L’obligation de la ceinture de sécurité a subi plus d’opposition que les limitations de vitesse.

Les médecins utilisent souvent le civisme pour convaincre les plus réticents : on se vaccine autant pour soi que pour les autres.

Comment stopper la baisse des couvertures vaccinales en France ? Une communication raisonnable, une individualisation par les praticiens, l’encouragement au civisme et une information éclairée non catastrophiste sont certainement les meilleurs moyens. On peut y ajouter sereinement l’arrêt des obligations, y compris pour les professionnels, plus à même d’évaluer les risques réels.

La suppression de toute obligation vaccinale serait bénéfique en diminuant fortement le pouvoir de nuisance des lobbys.

Références

Gestation pour autrui : dernières affres du « tout génétique »

lundi 18 août 2014

Le sujet des mères porteuses est très médiatique, car il ressasse l’impossibilité de choisir entre la sacralisation de l’éthique et celle du progrès.

Dissocier l’éthique sociale de l’éthique biologique pourrait nous aider à pénétrer dans cet imbroglio de la GPA.

Accorder à un couple stérile un ultime moyen d’obtenir un enfant génétique reste bio-éthiquement acceptable. Permettre à une femme riche, ne désirant pas supporter le poids d’une grossesse, de s’offrir le ventre d’une femme pauvre sur le marché mondial, est socio-éthiquement inacceptable. D’un côté, il s’agit encore de soin, de l’autre, il s’agit déjà d’esclavage. Mais ce résumé, volontairement grossier, est hors sujet, car la seule question utile, tant en biologie qu’en sociologie, est de savoir ce qu’est un « enfant à soi »

Avec la génétique dominante et tapageuse des années 1970, où l’on avait grotesquement annoncé la découverte des gènes de la criminalité, du suicide, de l’alcoolisme, ou encore de l’homosexualité, il était normal de penser qu’un enfant était à soi lorsqu’il avait hérité de la moitié de nos gènes.

Aujourd’hui, les considérables progrès de la biologie du développement (embryologie) nous révèlent que les gènes héritables, (ex : couleur des yeux ou forme du nez), ne sont qu’une faible part de la construction génétique de l’embryon. Les gènes architectes et les gènes régulateurs, dont l’expression dépend essentiellement des conditions de la grossesse, ont beaucoup plus d’importance.

Le ventre de la gestante est un lieu d’échanges permanents entre la mère, le père, le fœtus et sa fratrie. Ces interactions se révèlent capitales dans la construction et la répartition des synapses qui feront le système nerveux et la personnalité de l’enfant à naître.

L’ocytocine, qui envahit la mère et l’enfant au début du travail, est une hormone de l’attachement. Le colostrum, le lait et la peau viendront compléter cette liaison au point de la rendre irréversible.

On ne cesse de découvrir l’importance des processus épigénétiques, depuis les gamètes d’avant la fécondation jusqu’à la construction du phénotype, longtemps après la naissance. La variabilité génétique est mille fois moins importante que la variabilité phénotypique, et la pénétrance des mutations défavorables dépend principalement des conditions de vie.

L’erreur biologique est donc de penser qu’un enfant issu du ventre d’autrui est à soi. La part génétique héritable (d’un ou deux parents) représente certainement moins de 20% de ce que sera cet enfant.

L’éthique sociale peut alors s’effacer derrière la bioéthique qui nous impose de dire la vérité biologique : un enfant issu de la GPA ne sera pas plus votre enfant qu’un enfant adopté dont l’épigénome sera peut-être plus proche du vôtre.

Enfin l’adoption est un élément fort de la socialité animale, dont l’éthique est indépassable, tant  sur le plan biologique que sur le plan social.

En biologie, la gestation pour autrui n’est que l’une des dernières affres de l’époque révolue du « tout génétique ».

Exercice mathématique et mercatique autour de l’Alzheimer

lundi 11 août 2014

La probabilité d’avoir une maladie d’Alzheimer après 75 ans est de 15%. En épidémiologie, il s’agit d’un pourcentage énorme, surtout pour une maladie aussi invalidante.

Piètre réconfort : elle survient à un âge avancé, presque toujours supérieur à 65 ans. Cet âge étant défini comme borne de la mort prématurée, la maladie d’Alzheimer n’est donc responsable que de morts non prématurées.

A l’heure actuelle, aucun médicament commercialisé n’a d’efficacité sur le cours global et le pronostic de cette maladie neuro-dégénérative. L’idée est donc de la prévenir, à défaut de pouvoir la guérir. Les investissements et les recherches abondent dans cet objectif, et aboutiront certainement à plusieurs nouvelles molécules commercialisables.

Nous savons depuis longtemps que « commercialisé » ne veut pas dire efficace. L’autorisation de mise sur le marché repose sur deux critères principaux : modèle théorique d’action et preuve de l’efficacité par essai clinique randomisé.

Les modèles théoriques d’action sur la maladie d’Alzheimer ne manquent pas : protéine tau, dépôts amyloïdes, et (trop) nombreuses pistes génétiques (APOE, APP, PSEN, BDNF, SORL1, CLU, BIN1, etc. ; il y a actuellement plus de 25 régions génomiques impliquées) !

Quant aux essais cliniques, il est quasi impossible de prouver l’efficacité d’un médicament curatif, et a fortiori préventif, sur une pathologie plurifactorielle d’apparition tardive, souvent associée à d’autres pathologies, chez des patients polymédicamentés, car il y a toujours trop de facteurs de confusion. Pour réaliser cet exploit, il faudra d’autres « ressources » qui ne dépendent pas de la science exacte. Mais soyons certains que les marchands y parviendront.

Une fois la molécule mise sur le marché, elle n’aura, par contre, aucun problème à prouver son efficacité. Reprenons notre propos à son début. Cette pathologie concerne 15% des sujets de plus de 75 ans. Le corollaire est l’absence de cette maladie chez 85% d’entre eux. La molécule en question sera inévitablement vantée et considérée comme efficace chez 85% des sujets qui l’auront prise !

D’aucuns trouveront cet humour mathématique bien sombre pour un drame social et familial de cette importance. C’est vrai, le drame est réel. C’est pourquoi le clinicien que je suis tient à rappeler que les exercices cognitifs, la marche, la socialisation et le toucher sont pour l’instant les seules méthodes ayant fait la preuve d’une très légère efficacité sur l’apparition et le cours de cette maladie. Et surtout, que l’apparition d’une molécule pour une pathologie chronique quelconque s’accompagne irrémédiablement d’un recul des actions préventives non pharmacologiques, donc d’un recul de la prévention.

Telle est la réalité du terrain, il est utile de la rappeler.

Chaussures et psychotropes

dimanche 3 août 2014

C’est l’histoire des deux marchands de chaussures qui découvrent l’Afrique subsaharienne au XIX° siècle. L’un dit que la clientèle potentielle est gigantesque, car tout le monde marche pieds nus, l’autre lui répond que c’est précisément pour cela que ce marché est sans intérêt.

Les professionnels savent qu’il est préférable de suivre la logique du second marchand, car il est difficile de créer une clientèle ou un besoin, alors que développer la science du marketing sur un marché déjà ouvert est moins coûteux et toujours plus rentable.

Les chaussures entraînent une dépendance irréversible comme peuvent en témoigner tous ceux qui ont essayé de s’en passer à l’âge adulte, bien après que leurs parents eussent commis l’irréparable première prescription. Il en est de même pour les benzodiazépines (psychotropes tranquillisants). Je conseille donc aux marchands de benzodiazépines de choisir des pays où le marché est déjà bien ouvert, car l’addiction y est beaucoup plus forte.

Au-delà de cette dépendance, la grande famille des psychotropes (tranquillisants, antidépresseurs, neuroleptiques, thymorégulateurs et psychostimulants) présente l’avantage mercatique d’une promotion interne. Les antidépresseurs aggravent les troubles bipolaires, entraînant alors la prescription de neuroleptiques ou de thymorégulateurs. Les benzodiazépines et les neuroleptiques provoquent des troubles de la cognition et de la vigilance qui favorisent la prescription de divers psychostimulants. Aux Etats-Unis et en France, on constate une tendance croissante à l’association entre antidépresseurs et neuroleptiques.

Cette consommation de psychotropes est largement supérieure dans les pays à bonne couverture médicale et sociale et particulièrement dans les couches de population ayant souscrit à des mutuelles complémentaires. Cette clientèle est particulièrement attractive, car on y constate une augmentation continue de la consommation de psychotropes à tous les âges de la vie. Leur consommation pendant la grossesse pose parfois de réels problèmes de sevrage. Mais cet effet d’entraînement entre différentes générations, soit par addiction initiale, soit par un mimétisme plus tardif lors de l’adolescence, est un nouvel avantage mercatique pour les vendeurs de psychotropes.

Enfin et surtout, l’abondance de consommateurs de psychotropes est une source considérable de données statistiques suffisantes pour obtenir l’autorisation de nouveaux marchés. Ainsi les antidépresseurs sont utilisés dans le sevrage tabagique, les douleurs chroniques et de multiples pathologies réelles ou virtuelles où la clientèle, déjà captive, est très facile à re-capturer.

Bref, ce serait une grosse erreur stratégique de chercher à vendre des psychotropes en Somalie, en Papouasie ou au Burkina-Faso sous prétexte qu’il n’y en a pas encore.

Références