Archive pour janvier 2014

Paradoxe avortement / euthanasie

lundi 27 janvier 2014

À mon titre d’homme, j’ai toujours été favorable à l’avortement et à l’euthanasie, car ils me paraissent être deux étapes importantes de notre long processus d’hominisation. À mon titre de médecin, j’accepte sans réticence, bien que sans enthousiasme, d’être impliqué activement dans ces deux actes, car ils correspondent, le plus souvent, à une détresse qui m’oblige.

Livrer cette opinion personnelle a bien peu d’intérêt, c’est pourquoi j’aimerai soulever un paradoxe susceptible de faire avancer le débat.

L’avortement s’apparente à l’arrêt brutal d’une très longue période d’espérance de vie et il est à contresens de l’évolution biologique. Inversement, l’euthanasie n’ampute aucune espérance de vie et elle ne contredit aucunement l’évolution qui alloue toujours plus de ressources à la reproduction qu’à la réparation corporelle.

Dans les sociétés laïques et démocratiques, il semble paradoxal que juristes et médecins aient accepté, depuis longtemps déjà, de légaliser et de pratiquer l’avortement, alors que ces mêmes juristes et médecins freinent ou reculent dans la légalisation et la pratique de l’euthanasie.

Un bel exemple de ce paradoxe est fourni par la France où la belle avancée juridique de la loi Leonetti est presque sans effet sur le terrain, et que les juristes eux-mêmes la bafouent. Quant à l’admirable rapport Sicard qui aboutit, sans heurt, à l’évidence du suicide assisté, il n’a été repris par aucun politique.

Pour trouver une explication à ce paradoxe, il faut admettre qu’il manque quelque-part un ou des éléments qui n’ont jamais été pris en compte dans les différents débats. Il existe indubitablement d’autres raisons qui freinent les acteurs de la légalisation et de la pratique de l’euthanasie dans notre état laïque. J’ignore grossièrement quelle est la nature profonde, secrète, voire inavouable de ces raisons, mais elles ne relèvent certainement ni de la morale naturelle, ni de l’empathie, ni de l’évolution, ni de la biologie. Il faudra bien oser « fouiller » jusqu’à l’intime de ces raisons, si l’on souhaite vraiment faire avancer le débat…

De toute évidence, ces raisons n’ont pas de rapport avec le respect de la vie, et nous venons de constater qu’elles n’ont pas, non plus, de rapport avec le respect de la loi !

Continuer trop longtemps à les ignorer, serait prendre le risque majeur d’une régression sociale jusqu’aux premiers temps des débats sur l’avortement.

Références

Vendre les tranquillisants à l’unité

dimanche 19 janvier 2014

Les benzodiazépines sont les plus connues et les plus utilisées des tranquillisants. Elles ont deux indications médicales majeures : l’attaque de panique et les crises convulsives. Dans ces deux cas, leur utilisation est unitaire et ponctuelle, sous forme orale ou injectable.

Or, dans la pratique, les benzodiazépines sont prescrites essentiellement comme somnifères, bien qu’elles soient un facteur aggravant de l’insomnie chronique. Elles sont aussi utilisées comme myorelaxants et tranquillisants au long cours. Leur principal effet indésirable immédiat est une baisse de la vigilance, avec risque de chute et une augmentation de 60% de fractures du col du fémur. On leur doit aussi une bonne part des accidents de la route.

À plus long terme, les effets néfastes sont une majoration des pertes de mémoire et une augmentation de 50% du risque de démence.

Encore plus préjudiciable est le risque de dépendance, puisqu’il s’agit certainement des drogues les plus rapidement addictogènes, tant du marché licite que du marché illicite. Une consommation quotidienne de deux semaines suffit parfois à entraîner une dépendance, et le sevrage est toujours difficile. C’est la raison pour laquelle il est officiellement recommandé de ne pas dépasser quelques semaines de prescription. Recommandation que les médecins ne peuvent pas suivre, car ils cèdent à la pression des patients devenus dépendants. La preuve en est apportée par le récent rapport de l’ANSM qui note l’augmentation régulière de consommation des benzodiazépines.

Dans le cadre de tentative de réduction du sempiternel trou de la Sécurité Sociale, une réflexion vient de s’ouvrir sur la vente des médicaments à l’unité. Les benzodiazépines sont une excellente occasion de mise en pratique. En dehors des convulsions et des attaques de panique, elles n’ont aucune indication médicalement justifiée, et dans ces deux cas, leur utilisation est unitaire. Elles sont donc bien le premier médicament idéal pour une vente à l’unité. Le corollaire serait un déremboursement des boîtes de plusieurs comprimés, dont la prescription est la preuve d’une utilisation inadéquate, non justiciable de la solidarité nationale.

Cette mesure aiderait au sevrage, elle diminuerait les chutes et fractures des personnes âgées, les accidents de la route, la démence, les insomnies chroniques, et améliorerait la santé publique.

Le bonus serait une économie de 200 millions d’euros pour la Sécurité Sociale.

La seule inconnue est le nombre de licenciements provoqués par le manque à gagner des industriels. Espérons qu’il sera faible, car ces nouveaux chômeurs éventuels pourraient être sujets aux insomnies et aux angoisses… Rien n’est simple !

Références

Fluctuations des gains et pertes sanitaires

lundi 13 janvier 2014

Le Démon a perdu beaucoup de ses possédés lorsque l’épilepsie est devenue une maladie, mais la santé publique s’est dégradée d’autant, puisqu’il a bien fallu inclure ces « nouveaux » malades dans la comptabilité sanitaire.

Il fut un temps où être gaucher était un handicap sévère que l’on s’efforçait de corriger par contrainte, rééducation ou même psychothérapie ! La réaffectation de la gaucherie en variable populationnelle normale a brutalement guéri de leur handicap 10% des habitants de la planète.

Les roux avaient connu un peu avant les mêmes heurs et malheurs que les gauchers.

Les homosexuels ont eu moins de chance puisqu’il leur a fallu attendre les années 1980-1990 pour que l’homosexualité soit retirée de la liste des maladies mentales dans la majorité des pays. La psychiatrie y a peu perdu, mais la santé publique y a encore beaucoup gagné.

Jusqu’au début du XX° siècle, être « fille-mère » provoquait un vécu morbide aussi dramatique que celui du choléra ou de la lèpre, voire plus, avec exclusion sociale et familiale, et des conséquences psychologiques et physiques traversant les générations, puisque l’on préférait parfois dire à un enfant qu’il était orphelin plutôt que de lui avouer qu’il avait une mère célibataire… Aujourd’hui, avec la stérilité qui menace, l’évènement est plus souvent vécu avec bonheur. Je vous laisse imaginer le bénéfice considérable en termes de morbidité et d’héritabilité…

En médecine (hors chirurgie), depuis les gains miraculeux enregistrés par les vaccinations, ce sont certainement les changements de terminologie qui ont eu le meilleur impact sur la santé publique.

Hélas, lorsque l’on a décrété que le diabète débutait à 1,20 gr/l de sucre par litre de sang au lieu de 1,40, le nombre de malades a triplé en quelques années. Il en a été de même lorsque les normes de l’hypertension ou du LDL cholestérol ont baissé, faisant perdre rapidement à la santé tout ce qu’elle avait gagné avec les roux et les gauchers.

Je n’ose même pas imaginer les lourdes pertes comptables qui s’annoncent avec les hyperactifs, les bipolaires et les « dépistés » de tous ordres. Pertes que nous n’arriverons jamais à compenser, même en rendant les épileptiques au diable et les homosexuels aux psychiatres…

Alors, profitons de ces bons vœux de début d’année, pour bien marteler que la santé n’est jamais gagnée d’avance !

Bibliographie

Si les sages-femmes pouvaient…

samedi 4 janvier 2014

En ce moment les sages-femmes manifestent leur mécontentement. Elles ont raison.

Leur travail est clinique, relationnel, technique, décisionnel, bref, un vrai rôle de médecin. Lorsque les généralistes pratiquaient encore les accouchements, c’était sous leur surveillance bienveillante et avec leur aide efficace. L’appel à l’obstétricien était rare, environ 8% des accouchements, pour les césariennes inévitables.

Il est important de rappeler que tout ce qui a été gagné en termes de mortalité et de morbidité maternelle et périnatale, avait été gagné bien avant l’hyperspécialisation et la multiplication des césariennes et des déclenchements.

C’est dans les années 1940 que la mortalité maternelle a chuté brutalement dans les pays européens passant de 500 décès pour 100 000 naissances à une vingtaine dans les années 1970. Aujourd’hui, elle se stabilise autour de 8 pour 100 000 naissances. Quant à la mortalité périnatale, de 1,8/1000 aujourd’hui, elle était inférieure il y a quelques années.

Alors que plus un seul médecin, même pas les gynécologues, ne pratique des accouchements, il est logique de penser que leur surmédicalisation galopante est bien le fait de l’hyperspécialisation obstétricale.

Les sages-femmes peuvent-elles empêcher les deux-tiers de césariennes inutiles qui aggravent la morbidité maternelle et infantile à court et long terme ? Peuvent-elles empêcher les 90% de déclenchements inutiles ?

Il est difficile d’évoquer la péridurale, largement utilisée, car peu d’études ont sérieusement analysé son rapport bénéfices/risques et son impact réel sur le confort global de l’accouchement et de ses suites. Ces études seraient intéressantes, car beaucoup de parturientes ayant connu « avec » et « sans » ont déclaré préférer leur accouchement sans péridurale, en tenant compte de tous les paramètres.

Par contre, de nombreuses études confirment l’impact négatif des césariennes sur la morbidité de l’enfant à court et long terme (asthme, diabète, obésité, etc.) Le risque de mort maternelle ou néonatale est multiplié par deux ou trois au deuxième accouchement !

Les obstétriciens, praticiens du très court-terme, nient ou négligent, à la fois, l’absence d’effet bénéfique à court-terme de cette surmédicalisation et les résultats négatifs des études sur le long-terme. La majorité d’entre eux pense que ces nouvelles pratiques sont bonnes puisqu’elles sont acceptées par les parturientes et la société. Ils ont repris la vieille habitude mandarinale de la « preuve inversée » : ce n’est pas parce que c’est bien que je le fais, c’est parce que je le fais que c’est bien.

Si les sages-femmes, désormais seules face à cette nouvelle donne, avaient la moindre chance de parvenir à stopper cette dangereuse inflation, il faudrait alors leur donner plus de pouvoir et plus d’autorité. Je suis très favorable à leur accès au statut de praticien hospitalier, avec cet objectif sanitaire en contrepartie.

Références