Archive pour mai 2013

DSM américain contre psychiatrie française

mercredi 29 mai 2013

A chaque sortie d’une nouvelle version du DSM [[1]], de nombreux psychiatres et psychanalystes français souffrent. Ils n’arrivent pas à accepter cette standardisation de leur discipline, orchestrée par des psychiatres et « chimiatres » américains soumis à Big Pharma.

En tant que clinicien, je me sens assez souvent concerné par leurs doléances ; mais, farouchement opposé à tout sectarisme, j’ai envie de jouer à l’avocat du diable.

Certes, je comprends la souffrance de certains de nos psychiatres français qui, avec l’arrivée massive des psychotropes, ont été progressivement catalogués de psychothérapeutes ringards, obscurantistes et anti-progressistes. Le marketing pharmaceutique sait, en effet, très bien utiliser cette marginalisation active, comme une arme à l’encontre des praticiens, de toutes spécialités, qui exhortent à trop de modération thérapeutique ou à trop de raisonnement clinique.

Cependant, à chaque lecture du DSM, je suis toujours agréablement surpris par le très bel exercice de réflexion clinique qu’il représente. Si l’on arrive à surpasser la nausée que provoque ce catalogue trivial de tous les travers de l’humanité, présentés sans littérature ni discernement, on doit reconnaître que l’analyse clinique est poussée. En regardant plus en détail, on doit admettre qu’il n’y a pas trop d’incitation à créer de « fausses pathologies », car les symptômes doivent être associés, durer assez longtemps, et provoquer un réel handicap social, pour que les diagnostics soient admis et posés avec certitude.

Ne peut-on pas voir la rigueur militaire de ce manuel américain comme une réplique exagérée à nos fantaisies européennes d’hier ?

N’oublions pas la réinterprétation extravagante des thèses freudiennes et leur dévoiement dans des pratiques sectaires. N’oublions pas la folie des dérives lacaniennes. N’oublions pas la sidération de nos penseurs devant le monopole intellectuel imposé par la psychanalyse dans les années 1960-1970, dans tous les domaines des sciences humaines et sociales. N’oublions pas la puissance du lobby psychanalytique, qui contribue, encore aujourd’hui, à marginaliser la psychiatrie française.

Et si les excès du DSM d’aujourd’hui n’étaient que la contrepartie des excès psychanalytiques d’hier. Et si les conflits d’intérêts étaient les mêmes des deux côtés de l’Atlantique : Big Pharma à l’ouest, lobby psychanalytique à l’est.

Et comme en France, tout est psychodrame, le débat serein tarde à s’établir…

Pourtant, un jour, il nous faudra bien admettre que les maladies intestinales et psychiatriques sont des maladies (presque) comme les autres, car les intestins et le cerveau sont des organes (presque) comme les autres. Tous deux soumis aux gènes, à la nutrition, à la culture, au stress, aux toxiques, à l’éducation, aux dérives du marché, et aux excès de la médecine.


[1] Manuel statistique et diagnostique des maladies psychiatriques.

L’erreur n’est pas toujours le médicament

jeudi 23 mai 2013

Le Thalidomide® et le Distilbène® font partie de ces gros scandales de l’histoire de la pharmacie qui ont provoqué un durcissement des normes des essais cliniques, des mises sur le marché, et de la pharmacovigilance.

Tous ces efforts louables portent toujours sur les normes de production et de surveillance des médicaments, en négligeant de critiquer les dérives de leur consommation et les fondements de leur prescription.

Les dérives sont habituelles. Même si les indications d’un médicament sont précises et limitées, le moteur marchand entraîne progressivement producteurs, prescripteurs et consommateurs à forcer la consommation au-delà des besoins. Pour agir sur les paramètres de cette dérive, le meilleur moyen est le dépistage des conflits d’intérêts.

Mais dans les deux exemples cités, c’est au niveau même du fondement de la prescription qu’il fallait poser les questions et évaluer les risques. Si le Thalidomide® et le Distilbène® ont généré de si graves handicaps sur plusieurs générations, c’est que nul médecin ne s’est interrogé sur le bien-fondé de la nécessité même d’un médicament dans ces cas précis.

Le Thalidomide® était destiné à limiter les nausées du premier trimestre de la grossesse. Malgré le constat d’inefficacité, nul prescripteur ne s’est posé la question sur la nature profonde de ces nausées, certes parfois inconfortables, mais toujours sans danger.

Le distilbène était censé lutter contre les menaces de fausse-couche, sans que nul ne s’interroge sur le taux quasi immuable de ces fausses-couches spontanées.

Nous savons aujourd’hui que les nausées du premier trimestre sont un pur produit de l’évolution, destiné à protéger l’embryon particulièrement vulnérable à d’éventuelles toxines alimentaires.

Nous savons que les fausses-couches spontanées sont un processus naturel d’élimination d’embryons et fœtus non viables, donc un choix naturel optimal pour l’espèce.

Prescrire un médicament, dans ces deux cas, n’était pas une aberration pharmacologique ; c’était un interventionnisme stupide. Certes, les médecins de l’époque ne le savaient pas…

Aujourd’hui, pourtant, nous voyons de nombreuses prescriptions où il est aisé de supputer une erreur fondamentale au niveau de la prescription elle-même, indépendamment des risques inhérents au produit prescrit.

Tous les traitements pharmacologiques de l’obésité se sont révélés  néfastes, sans aucune exception. Le bon sens suffit à comprendre qu’aucune chimie ne peut faire maigrir sans risques ; pourtant, la recherche pharmacologique continue dans ce domaine. Le bon sens devrait encore suffire à comprendre que les insomnies réelles, perçues ou virtuelles des séniors, ne sont qu’un processus naturel du vieillissement. Pourtant, la promotion de la mélatonine (une hormone) a déjà commencé activement dans cette indication. Etc.

Non, l’erreur n’est pas toujours le médicament : c’est son indication, c’est l’argument même de sa prescription.

Darwin avait prévu les morts nosocomiales

vendredi 17 mai 2013

Dans les grandes villes du Moyen-Âge, les Hôtels-Dieu avaient charge d’accueillir les plus déshérités : pauvres, impotents, vieillards et malades. On y soignait surtout l’âme, car les médecins et chirurgiens-barbiers préféraient exercer leur art en dehors de ces lieux de charité où les malades s’entassaient à trois ou quatre par lit.

Ceux dont la bonne constitution avait permis de survivre à la misère et à la famine, échappaient rarement à l’Hôtel-Dieu, car c’était le plus dangereux des foyers d’infection de la ville.

L’Histoire des épidémies nous révèle que les deux principaux facteurs de leur déclenchement sont, d’une part, une communauté humaine dont la concentration dépasse un certain seuil, d’autre part, un micro-organisme jusqu’alors inconnu dans cette communauté.

L’un des principaux facteurs de gravité d’une épidémie est le fort pourcentage de sujets fragiles au sein de la communauté atteinte, et l’un des éléments majeurs de sa  propagation est l’absence de diversité de ce groupe humain. Une communauté de nourrissons, de personnes de même métier ou de même mode alimentaire, de même pathologie, etc., offre une moins grande variété de réponses immunitaires susceptibles de ralentir l’épidémie.

Avant même de connaître l’existence des microbes, Darwin avait déjà fort bien compris et expliqué le caractère protecteur de cette diversité.

Les infections nosocomiales offrent un exemple de conjonction de facteurs aggravants : confinement hospitalier, spécialisation organique, communauté de pathologie, concentration de personnes fragiles, nouveaux germes résistants.

Depuis quelques décennies, les administrations ferment les petites maternités, les hôpitaux de taille moyenne et les services de chirurgie générale. L’hyperspécialisation et les quotas d’interventions conduisent au gigantisme hospitalier. Nourrissons, vieillards, cancéreux, sont concentrés en des lieux où augmente la fragilité humaine et où diminue sa diversité.

Dire que les infections nosocomiales sont un vrai problème sanitaire, en accusant les administrateurs de santé publique de n’avoir pas lu Darwin, serait une critique trop facile. Portons plutôt la dialectique sur la raison essentielle affichée par les administrations pour expliquer leurs choix : ce serait en ces lieux de grande expertise que la mortalité des patients concernés serait la plus faible.

Pourtant les chiffres globaux ne confirment pas ce point de vue. La mortalité néo-natale et maternelle avait atteint ses seuils les plus bas, bien avant la fermeture des petites maternités. La mortalité par cancers avait déjà accompli toute la baisse possible avant la cancérologie administrée et la concentration des centres de décision.

Les quelques morts, péniblement et coûteusement gagnées par cette nouvelle forme d’administration, sont déjà annulées par les morts nosocomiales.

Faute d’une diversité administrative, il ne nous reste que l’espoir d’en rester là.

Séniors, désormais tout est clair

jeudi 9 mai 2013

En quête désespérée de croissance, le gouvernement vient d’annoncer son intention de développer des secteurs prometteurs.

En tête de liste, se trouve le marché des séniors. Les arguments ostensiblement affichés sont leur nombre croissant, et surtout, leurs besoins de soins encore mal explorés.

Soigner les séniors, pour résoudre le problème de chômage chronique des juniors, n’est peut-être pas une mauvaise idée, même si elle n’est pas très porteuse de rêves…

Cependant, pour une réussite complète, il serait mieux que la grande majorité des séniors soit malade. Malencontreusement, une récente étude de l’UE affirme que les séniors se sentent le plus souvent en bonne santé. Il faut donc parvenir à médicaliser cette sensation (forcément erronée) de bonne santé ; ce que nous nous exerçons à faire depuis longtemps avec des réussites diverses.

Sachant que la vieillesse fut longtemps considérée comme une « oxydation » des cellules, on a prescrit des antioxydants pendant des années. Leur manque d’effet a fini par les faire tomber en désuétude. Le traitement de la ménopause, idée de génie pour médicaliser la moitié de la vie de la moitié de l’humanité, a dû être abandonné, car trop dangereux. Le thème de la ménopause fut habilement remplacé par celui de l’ostéoporose dont la prévention pharmacologique s’avère aujourd’hui totalement inefficace.

Quelques autres tentatives hormonales pour garder la jeunesse éternelle, comme la DHEA ou la testostérone, ont connu le même échec. La mélatonine est la nouvelle star hormonale pour soigner le sommeil des séniors, déclaré toujours déficient.

Le plus grand espoir reste la prévention très précoce de la maladie d’Alzheimer, dès la quarantaine, au moment où l’on égare les clés du placard.

Je ne parle pas de la liste interminable des correcteurs métaboliques dont les statines et les hypoglycémiants sont les derniers suspects d’inutilité définitive. Enfin, l’arrivée des télomères nous offre du rêve biologique à vendre pour de nombreuses années.

Désormais, tout est clair, il ne faut plus critiquer la médicalisation de cette bonne santé ; il faut la transformer en redressement productif, tout en évitant la délocalisation. Il faut donc préférer les services personnels et la gérontotechnologie à toute cette inutile pharmacologie très souvent d’origine étrangère. Mais il faut surtout que toutes ces prestations ne soient pas payées par les charges sociales des entrepreneurs et des salariés qui sont, précisément, les juniors que l’on veut aider. Sinon, ils risqueraient de s’expatrier, aggravant encore l’inversion de la pyramide des âges et le poids des prestations sociales…

Bref, médicaliser la bonne santé sans faire supporter cette médicalisation par la solidarité de ses rescapés sans emploi… La marge de manœuvre est étroite…

Vaccinations : entre sectarisme et dogmatisme

jeudi 2 mai 2013

Lorsque les historiens du futur jugeront la médecine (hors chirurgie), la « triade pastorienne », vaccins/hygiène/antibiotiques, sera considérée comme l’apport dominant. Cette triade magique a fait bondir de plus de vingt ans l’espérance moyenne de vie à la naissance.

Hélas, l’histoire de la vaccination est entachée d’une bévue politique dont nous continuons à payer les conséquences : l’obligation vaccinale. En réaction, diverses sectes anti-vaccinales apparurent, dont certaines paroisses sont parfois tenues par des médecins. La pugnacité de ces sectes leur permet de s’inviter au débat de chaque nouvelle vaccination. C’est ainsi que les vaccinations anti-rougeole et anti-hépatite B ont été déclarées, respectivement responsables d’autisme en Angleterre et de sclérose en plaques en France, semant un doute durable sur ces vaccinations très utiles.

Si la bévue initiale des obligations a été partiellement corrigée, puisqu’il n’en subsiste que trois en France métropolitaine (diphtérie, tétanos, polio), nous voyons poindre aujourd’hui un risque bien plus important.

Pendant plus d’un siècle et jusqu’à une date récente, l’introduction de nouveaux vaccins dans les calendriers vaccinaux était décidée par des autorités ministérielles ou académiques. Nous osons affirmer – j’espère, sans trop de naïveté – que ce registre de la santé est resté longtemps vierge de conflits d’intérêts, alors que d’autres étaient déjà largement parasités.

Depuis les années 1990, les choses ont changé et la logique marchande a fini par formater la pensée jusque dans le domaine encore miraculeusement épargné de la vaccination…

Les premiers doutes des médecins de terrain sont apparus avec les vaccins anti-pneumocoque et anti-méningocoque qui ont tout de même fini par s’imposer, car même si leur bénéfice est très faible, il est réel. Puis, ces médecins pragmatiques ont réussi à bloquer la promotion du vaccin anti-varicelle dont le rapport bénéfices/risques aurait été négatif.

L’exemple le plus emblématique est celui du vaccin anti-HPV(papillomavirus), dont le bénéfice n’est pas prouvé et qui fait cependant l’objet d’une vigoureuse promotion. Enfin, je m’inquiète de voir apparaître des publications vantant insidieusement les mérites du vaccin anti-rotavirus dont notre pays n’a nul besoin.

Cette abondance de promotion, pour des vaccins de moins en moins bénéfiques, doit nous faire craindre avant tout la montée d’une suspicion et d’une méfiance sans discernement à l’égard des tous les vaccins. Ce serait un dramatique recul, car les vaccins restent la plus formidable audace conceptuelle et la plus belle victoire de la médecine.

Pour répondre aux interrogations légitimes de ses patients, le médecin a de plus en plus de difficultés à éviter à la fois le dogmatisme et le sectarisme.

Décidément, le marché sanitaire est devenu trop complexe pour moi et je suis toujours sans nouvelles de l’antilope qui est allée saluer le lion.