Depuis toujours, les hommes ont su définir la « Maladie » selon des critères vécus qui se résument à trois : douleur et/ou impotence fonctionnelle pour les maladies aiguës, et une limitation des projets de vie pour les maladies chroniques.
Avec les progrès biomédicaux, avec le développement de la notion de « facteur de risque » et avec l’avènement du principe de précaution, la médecine a créé un nouveau registre pathologique : celui des maladies potentielles.
Ces nouvelles maladies sont totalement déconnectées du vécu des patients qui n’ont jamais éprouvé ni douleur, ni impotence quelconque.
Pourtant, de façon cocasse, les hommes finissent par assumer ces nouvelles maladies avec une conviction qui étonnerait tout observateur candide. Comment allez-vous ? Mal, j’ai de mauvaises analyses. Mal, j’ai une image suspecte. Mal, j’ai un facteur de risque, etc.
Les médecins affirment que ces nouvelles maladies ne restent pas toujours potentielles. Ils ont raison, tous les porteurs d’une maladie potentielle ou d’une maladie vécue finissent par mourir un jour…
Cet humour noir serait déplacé si le développement fulgurant de l’imagerie et de la biologie moléculaire n’avait fait apparaître, en plus des maladies vécues et des maladies potentielles, un troisième registre virtuel que les radiologues ont nommé « incidentalomes ».
Ce sont des images découvertes par hasard alors que l’on cherchait autre chose. Environ 3% des personnes scannérisées sont porteuses de kystes biliaires non fonctionnels. De la même façon, les adénomes silencieux de la surrénale ou de l’hypophyse peuvent concerner jusqu’à 5% de la population. La physiologie de ces glandes restant normale tant au niveau vécu qu’au niveau biomédical.
Ce terme d’incidentalome peut s’appliquer de la même façon à des résultats biologiques sans autre lien avec la réalité que celui d’un hasard ou d’une aberration statistique.
Hélas, ces incidentalomes sont parfois sources d’interrogations pour le médecin et d’anxiété pour les patients. Ils génèrent de nouveaux examens complémentaires de contrôle qui génèrent à leur tour un lot incompressible d’incidentalomes.
Ainsi l’allégeance du vécu au modèle biomédical vient effectivement de générer un troisième registre de maladies. Ce sont des maladies sans douleur, sans impotence fonctionnelle, sans limitation des projets de vie et sans signification biomédicale.
Il faut prendre la chose très au sérieux, car tous les porteurs d’incidentalomes finissent par mourir un jour.
Je vous aurai prévenus.