Avec la généralisation des essais randomisés dans les années 1960, la clinique a tenté d’accéder au rang de science exacte. Ensuite, l’explosion des technologies d’investigation somatique a encore plus largement contribué à cette quête d’exactitude.
Disons-le tout net, la science clinique, basée sur l’étude biostatistique de critères technologiquement mesurables, a presque réussi son pari d’entrer dans la cour des sciences dures.
L’effet collatéral de cette réussite est le recul de l’individualisation du soin. Recul dénoncé avec verve par de nombreux patients, médecins, sociologues et épistémologistes.
La relation médecin-patient est le thème de réflexion le plus souvent proposé par ces contempteurs pour atténuer cet effet secondaire des sciences biomédicales modernes.
L’idée de développer une discipline de la relation médecin-patient n’est pas mauvaise et j’y aurai volontiers souscrit si un rapide examen de ce nouvel « objet d’étude » ne m’avait conduit à une impasse pour son enseignement universitaire.
Cette relation médecin-patient se décompose aisément en quatre relations princeps issues de l’évolution biologique et sociale.
1/ la relation interindividuelle qu’il est fort difficile de formaliser tant elle repose sur des prédispositions innées. Quant à sa part acquise, elle résulte d’une suite d’essais-erreurs dont l’empirisme se prête mal au réductionnisme d’une science transmissible.
2/ La relation commerçant-client est plus triviale. Elle fonctionne assez bien et sans effort lorsque les deux acteurs ont une vision commune de la loi du marché. Son enseignement devient alors inutile.
3/ La relation d’expert à profane est la plus complexe. Ce très difficile problème de la transmission du savoir possède déjà sa discipline universitaire qui est la pédagogie. Progresser dans l’art de la vulgarisation est toujours possible. Regrettons cependant qu’aujourd’hui, en médecine, la vulgarisation s’effectue dans le sens inverse, du patient au médecin. Possible effet secondaire de la loi du marché.
4/ Enfin l’empathie ne s’apprend pas, elle est un pur produit de l’évolution des mammifères sociaux. La souffrance d’autrui déclenche une suite de comportements réflexes qui se manifestent par la compassion et des conduites d’assistance. Il est logique de penser que l’expression phénotypique des gènes de l’altruisme et de la coopération est plus marquée chez ceux qui choisissent un métier du soin. Si cela n’était pas le cas, nous serions bien en peine, car il n’existe aucun moyen connu à ce jour pour forcer une expression phénotypique.
Puisqu’il est presqu’impossible de fonder une discipline universitaire de la relation médecin-patient, demandons-nous comment remédier à la désindividualisation du soin
La solution est de réintroduire encore plus de science exacte dans la médecine, car depuis son rêve d’exactitude des années 1960, elle s’est largement laissé déborder par ses patients son marché et sa démagogie qui sont devenus des promoteurs efficaces de l’inexactitude.
Si la médecine gagne encore en exactitude, elle s’arrêtera le plus souvent à la porte de l’individu, laissant alors libre cours à une relation humaine scientifiquement validée !