Archive pour février 2011

Les césariennes, l’âne et le lion.

lundi 28 février 2011

Le nombre de césarienne s’accroît de façon vertigineuse dans le monde. Cette augmentation vient essentiellement de l’augmentation du nombre de césariennes dites de « confort »

Il y a deux ou trois décennies, le pourcentage de césariennes pour raisons médicales était inférieur à 10% des naissances dans tous les pays du monde.

Aujourd’hui, ce taux est de 14% en Suède, de 21% en France, de 28% en Allemagne, de 38% en Italie, de 47% en Chine, de 50% dans certaines régions d’Amérique latine. Le record se situe dans les cliniques privées du Brésil avec un taux de 80% [1] !

Le risque de complications sévères de ces césariennes double si elles sont réalisées à la date prévue de l’accouchement et triple si elles sont réalisées avant.[2]

Le risque de morbidité respiratoire globale et sévère du nouveau-né est multiplié par 2 à 5 selon l’âge de la grossesse.[3]

Le taux de morts nés pour les deuxièmes enfants chez les femmes ayant eu une première césarienne est le double de celui des deuxièmes enfants après un premier né par voie vaginale.[4]

En France, le risque de décès maternel du post-partum se révèle 3 fois plus élevé après césarienne qu’après accouchement vaginal. Dans d’autres pays, 4 fois plus[5].

Tous ces chiffres, largement méconnus du public, donnent le frisson. Nous ne parlons pas ici de l’augmentation de nombreuses autres pathologies chez l’enfant après césarienne ou accouchement déclenché, dont le niveau de preuve est moins élevé que pour les pathologies précédemment citées.

Il est époustouflant de constater que l’anesthésie péridurale n’a rien changé à cette augmentation de demandes de confort, elle l’a au contraire aggravée !

Parmi les facteurs qui favorisent cette inflation de la médicalisation outrancière de l’accouchement, le premier est évidemment la certitude que cette solution est sans risque. Il serait bon de diffuser les informations sur les risques réels et d’informer nos parturientes que la grossesse et l’accouchement ne sont pas des maladies, même si plus personne ne doute de la réelle douleur d’un accouchement. Les autres facteurs sont les publicités dans les journaux féminins et bien évidemment la cupidité des obstétriciens comme en témoignent les chiffres cliniques privées de Chine, d’Italie ou du Brésil.

Seule l’Afrique noire est encore épargnée par ce fléau médical, puisque le taux de césarienne excède rarement 12%.

Tout cela me rappelle ce conte que je tiens d’un vieux sage africain. Un âne et un lion sont devenus amis et se promettent fidélité. Puis un jour le lion, ayant très envie de manger l’âne, lui demande ce que l’on risque si l’on trahit une promesse. L’âne lui dit : « toi tu ne risque rien, mais tes enfants paieront pour toi ». En se précipitant alors pour dévorer l’âne, le lion s’embroche sur un pieu. Pendant son agonie, il dit à l’âne « tu m’as menti, tu m’as dit que ce seraient mes enfants qui paieraient pour ma trahison. »

L’âne lui répond : « tu es peut-être en train de payer pour les fautes de ton père. »

En racontant aujourd’hui cette histoire ailleurs qu’en Afrique, n’oubliez pas de rajouter : « et pour les fautes de ta mère et de son obstétricien ou obstétricienne. »


[1] Torloni MR et coll.: Portrayal of caesarean section in Brazilian women’s magazines: 20 year review
BMJ 2011;342:d276.

[2] Souza J.P. et coll.: Caesarean section without medical indications is associated with an increased risk of adverse short-term maternal outcomes: the 2004-2008 WHO Global Survey on Maternal and Perinatal Health. BMC Medecine 2010; 8: 71.

[3] Hansen A K et coll.: Risk of respiratory morbidity in term infants delivered by elective caesarean section: cohort study. BMJ 200.

[4] Smith G et coll.: Caesarean section and risk of unexplained stillbirth in subséquent pregnancy. Lancet 2003; 362: 1779-84.

[5] Deneux-Tharaux C et coll.: Postpartum Maternal Mortality and Cesarean Delivery.  Obstet Gynecol 2006;108:541-548

Publicité anti-tabac

mardi 15 février 2011

Récemment entendu sur un grand média : « la publicité contre le tabac est efficace puisque les ventes de substituts nicotiniques et de médicaments d’aide au sevrage du tabac sont en constante augmentation ».

Cette phrase, présente toutes les caractéristiques de la logique borgne utilisée par le marché, parfois même sans aucun cynisme, hélas !

 La seule façon d’affirmer que la publicité contre le tabac marche serait de constater que les ventes de tabac baissent. Voilà une logique implacable que nulle lapalissade ne saurait surpasser. Cette logique là est inaccessible à des esprits mercatiques, non pas qu’ils soient trop frustes pour la comprendre si on la leur explique bien, mais plus étonnamment parce que l’éventualité d’une baisse des ventes de quoique ce soit, se situe dans la zone aveugle de leur champ cognitif.

 Inversement, nous pouvons affirmer que la publicité pour les produits d’aide au sevrage tabagique marche très bien puisque leurs ventes augmentent régulièrement. Le succès est tel que les différentes marques peuvent s’offrir des publicités coûteuses de promotion de la « tabacologie » dont l’effet est d’augmenter encore les ventes. Ce commerce du sevrage présente le rare privilège de la double vertu. La vertu tacite du profit et la vraie Vertu majuscule des bienfaiteurs de l’humanité. Sans parler de la dimension quasi mystique de cette nouvelle discipline scientifique qu’est la « tabacologie ».

 Personne ne doute que le tabac soit un fléau, y compris les fumeurs eux-mêmes. Tous ignorent que les produits d’aide au sevrage n’ont guère plus que l’efficacité de l’autosuggestion qu’ils induisent, à l’instar de nombreuses substances diverses et variées. Enfin, la plupart ignorent encore les dangers réels des produits d’aide au sevrage tabagique. Pourtant, ils semblent être très nombreux et chaque nouvelle étude en décèle de pires. Nous savons désormais qu’il faudra des décennies pour qu’ils soient retirés du marché, le temps nécessaire au vagabondage du profit. Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils ne seront pas plus toxiques que le tabac lui-même ! Aujourd’hui, nous ne le savons pas.

 N’étant pas un gourou anti-tabac, je suis triste de constater que seul le législateur arrive à faire baisser provisoirement la consommation du tabac. L’augmentation du prix ou le bannissement des lieux publics avaient eu quelque effet provisoire, mais les ventes reprennent toujours, car les méthodes de marketing indirect sont aussi inépuisables que les facteurs de risque sanitaire. Il suffit d’aller au cinéma pour y voir nos magnifiques actrices et acteurs fumer ad nauseam

 Je voudrais pouvoir dire aux fumeurs de fumer tranquillement et modérément… Certes ça les tuera tout aussi tranquillement et modérément… Cependant je leur conseille de ne pas ajouter d’inutiles nuisances à celles du tabac. Si un jour, ils arrivent à comprendre l’intérêt de s’arrêter, je suis certain qu’ils se débrouilleront tous seuls comme des grands. Non seulement ils gagneront quelques années de vie, mais ils seront fiers de n’avoir pas été, par deux fois, les jouets du marketing.

Même l’eau !

mardi 1 février 2011

L’histoire de la science n’a pas été linéaire, cependant l’historien est dans l’obligation de mentionner les faits qui ont marqué ses progrès plus que ceux qui en ont constitué une régression.

Ce sont souvent les découvertes majeures qui font s’opérer les plus grands reculs, comme si une contre-réaction populaire à des progrès trop rapides finissait par atteindre les scientifiques et les faiseurs d’opinion.

L’un des exemples les plus connus est celui de l’eugénisme prôné par certains scientifiques et mis en œuvre dans certains états pour diminuer la variabilité de notre espèce, juste après que Darwin eût démontré que la variabilité était le moteur essentiel de l’évolution.

L’histoire de l’hygiène offre un exemple étonnant de régression due aux progrès de l’épidémiologie.

Même l’eau, corollaire de la vie, s’est offert les caprices d’une histoire non linéaire !

Alors que les bienfaits des thermes étaient connus depuis l’antiquité, la découverte de la notion de « contagion » comme facteur essentiel de transmission des épidémies entraîna une régression de l’hygiène.

Georges Vigarello rapporte qu’aux XVII° et XVIII° siècles en France, nombreux étaient ceux qui considéraient l’eau comme néfaste pour l’hygiène et la santé !

Elle fragilisait un corps supposé « poreux » et son usage permettait aux agents infectieux de franchir les barrières naturelles de la peau, de s’immiscer au cœur de l’organisme humain, de le déséquilibrer et de l’altérer. Se laver pouvait nuire à la vue, engendrer des maux de dents et des catarrhes, pâlir le visage, le rendre plus vulnérable au froid en hiver et au hâle en été.[1]

Il fallait éviter l’immersion et pour protéger son corps des méfaits de l’eau, il fallait en boucher les pores. Les nourrissons étaient parfois enduits de cendre de moule, de cendre corne de veau ou de cendre de plomb mêlée avec du vin pour obturer leurs pores. L’histoire ne dit pas pourquoi le vin ne traversait pas les pores, ni combien de nourrissons en sont morts.

La toilette sèche était recommandée. L’idéal étant de changer la chemise lorsqu’elle devenait noire, car la blancheur restait un signe de civilité !

L’histoire ne dit pas non plus si la triste réputation des français autour de l’hygiène leur vient de cette époque.

Nous savons aujourd’hui que l’excès d’hygiène est l’un des facteurs du développement des maladies auto-immunes et allergiques.

Faut-il avoir peur de la science ou seulement regretter son mésusage et notre manque de tact et de mesure à son égard ?


[1] Georges Vigarello, Le Propre et le sale, Seuil, 1985