Tour de France moléculaire

5 juillet 2025

Chaque année, le tour de France cycliste lance un concours international de médecine moléculaire. Pendant longtemps, cette compétition a été un championnat de pharmacologie. C’était après l’époque des pionniers qui soignaient eux-mêmes leurs vélos et leurs contractions musculaires, et avant que des tests permettent de déceler les dopants usuels. Les contrôles anti-doping ont stimulé la recherche, il fallait utiliser des molécules qui n’étaient pas décelable par les tests diagnostiques. EPO, stéroïdiens et anabolisants ont été les molécules les plus utilisées par les coureurs jusqu’à ce que les progrès du diagnostic moléculaire permettent de les détecter. D’autres dopages (méthylphénidate, hormone de croissance, beta2-stimulants) ont été plus difficiles à confirmer, entraînant une « course aux armements » entre les pharmacologues et les concepteurs de tests diagnostiques. Cette course ressemble à celle de la reine rouge de Lewis Carroll qui est obligée de courir toujours plus vite pour rester à la même place. Aujourd’hui, le dopage génétique est strictement indétectable.

Mais les amateurs de cyclisme ne s’intéressent pas à cette compétition moléculaire aux résultats incertains ; quant aux cyclistes, ils ne s’intéressent pas à leur avenir sanitaire à moyen ou long terme. Seul compte le résultat de l’étape du jour. 

Lorsque les dosages chimiques sont contestables, on peut se fier à l’épidémiologie qui montre qu’avant 1939, l’espérance de vie des coureurs du tour était de 75 ans contre 60 ans pour les autres Français et qu’en 2006, les chiffres étaient strictement inverses. D’autres études montrent que la mortalité toutes causes confondues est moindre chez les sportifs, mais que chez les sportifs de haut-niveau, elle devient identique à celle des sédentaires. Le sport est excellent pour la santé, la performance l’est beaucoup moins : preuve indirecte des grands progrès de la médecine moléculaire.

D’ailleurs, en fin de course (si l’on peut s’exprimer ainsi), c’est toujours elle qui gagne. Le chiffre d’affaires des industries du diagnostic est en train de rattraper celui des industries du médicament. Il n’est plus une fièvre qui échappe à un test de sérologie virale, plus un ronflement qui échappe à une polysomnographie, plus un éternuement qui échappe au dosage des immunoglobulines.  Cette course de la reine rouge atteint son paroxysme en cancérologie où les diagnostics anatomo-pathologiques usuels se sont transformés en tests de contrôle de thérapies de plus en plus ciblées et de plus en plus coûteuses. Il y a toujours un vainqueur à chaque étape, mais le long terme n’a pas vraiment de quoi réjouir les épidémiologistes.

Nos prouesses moléculaires sont aussi impressionnantes que celles des coureurs du tour, et la fête est si belle qu’il faut empêcher les épidémiologistes de la gâcher…

Qu’ils se concentrent exclusivement sur le résultat de l’étape du jour.

Références

Projet d’honnêteté médicale

19 juin 2025

Le « Medical Evidence Project » est une initiative américaine qui projette de débarrasser la recherche médicale des articles frauduleux ou de mauvaise qualité.

On connait déjà la respectable collaboration Cochrane dont 30 000 collaborateurs du monde entier élaborent des méta-analyses après avoir éliminé les essais cliniques médiocres et sélectionné les meilleurs. Ses résultats sont sans appel et connus depuis longtemps : plus de 90% des articles des revues médicales sont biaisés, erronés ou franchement frauduleux. Cette nouvelle initiative qui vise à empêcher des publications, paraît donc plus pertinente que de critiquer des articles déjà publiés et diffusés auprès de médias et médecins inaptes à en juger la médiocrité ou la malhonnêteté.

Avec un budget de 450 000 dollars par an pendant deux ans, ces honnêtes gens doivent parvenir à supprimer 90% des 600 000 essais cliniques publiés chaque année dans le monde. À titre de comparaison, une firme pharmaceutique peut dépenser 10 à 100 fois plus en faire publier et diffuser un seul, en allouant des subsides aux agences du médicaments, leaders d’opinion, médias et associations de patients. Ne craignons donc pas d’affirmer que la tâche du « Medical Evidence Project » est insurmontable.

Voilà pourquoi, il est nécessaire de franchir un palier supplémentaire. Plus que la détection des erreurs et fraudes d’essais déjà publiés, plus que d’empêcher leur publications, il faut aller jusqu’à interdire certaines recherches cliniques.

On sait par exemple que toute recherche sur un médicament de l’obésité est inutile puisqu’ils ont évidemment et invariablement un rapport bénéfice/risque négatif. Le but de telles recherches ne peut être que commercial. Il en est de même de la recherche sur les cancers métastasés de l’adulte dont la cible n’est pas la santé individuelle ou publique mais la démagogie politicienne. La recherche sur la pharmacologie de la maladie d’Alzheimer entre dans la même catégorie où ni la santé individuelle ni la santé publique ne sont des objectifs réalistes. On peut ajouter l’ostéoporose et toutes les maladies de la sénescence. De façon évidente et largement prouvée, la prévention pharmacologique n’a plus de bénéfice après 70 ans. Ces maladies dites « chroniques » et maladies de la sénescence physiologique sont pourtant les préférées de la recherche des firmes pharmaceutiques. (Je ne parle évidemment que de « prévention pharmacologique », et non de tout autre type de prévention.)

En admettant naïvement que l’on puisse empêcher ces recherches sans intérêt sanitaire, il resterait encore environ 200 000 articles à contrôler chaque année avant publication. Le challenge du « Medical Evidence Project » quitterait alors la catégorie « utopie » pour entrer dans la catégorie « Sisyphe ».

Il nous reste enfin à croire que cette initiative n’est pas un nouvel avatar de « washing » : un « science-washing » discrètement manipulé par l’industrie et encore plus pernicieux que le « green-washing »…

Bibliographie

Trump et Musk : un diagnostic trop facile

9 juin 2025

Les diagnostics psychiatriques sont les plus difficiles de tous. La psychiatrie est un domaine en perpétuel remaniement où les querelles entre experts sont très violentes. Lorsque je m’y suis quelque peu intéressé, j’ai acquis la conviction que les sciences biomédicales sont inadaptées à la gestion des maladies psychiatriques, même si toutes les errements du psychisme terminent dans des cabinets médicaux.

J’ai pourtant eu au moins une certitude diagnostique et pronostique dans ma carrière, c’était en janvier 2025, lorsque Donald Trump et Elon Musk se sont alliés pour la gestion des Etats-Unis. J’ai affirmé péremptoirement qu’ils se seraient violemment fâchés avant la fin de l’année. Nous ne sommes qu’en juin et la dispute, très agressive, a déjà commencé. Je ne tire néanmoins aucune fierté de ce pronostic, car la plupart de mes amis non-médecins avaient fait le même.

Avouons qu’en observant ces deux personnages, il était relativement facile de constater que les processus conduisant à une démesure de leur égo semblaient largement dominer tous leurs autres métabolismes et que la construction obsessionnelle de leur idéologie marchande submergeait tous leurs autres processus cognitifs.

Pour aller plus loin, non pas en psychiatrie, mais en géopolitique où je suis encore plus ignorant, j’ai relu l’excellent livre de Tocqueville, écrit en 1836 : « De la démocratie en Amérique ». J’en ai conclu que la géopolitique était encore plus ardue que la psychiatrie. Cet intellectuel brillant a montré comment la constitution américaine avait réussi à équilibrer les rapports de force entre les gouvernances nationales et la gouvernance fédérale, au moyen de subtiles juridictions gérées par le peuple et dominées par la Cour Suprême. Malgré tout son génie, il n’avait pas su prévoir que la guerre de Sécession allait ravager cette nation quelques années plus tard.

Pourtant, tous les ingrédients de cette guerre civile étaient là : dans ce pays dominé par l’argent, les nordistes avaient besoin de techniciens et non d’esclaves pour leurs usines, alors que les agriculteurs sudistes avaient besoin d’esclaves pour leur culture. Ajoutons à cela que les armes circulaient déjà abondamment.

Alors en voyant aujourd’hui ces deux milliardaires à l’égo incontrôlable, ravagés par une idéologie exclusivement financière, se battre pour diriger un pays où le niveau d’éducation baisse et où le stock d’armes augmente dangereusement, je fais le pronostic d’une nouvelle guerre civile à court-terme.

La géopolitique étant encore plus opaque que la psychiatrie, et ses experts pérorant encore plus que les psychiatres, je reconnais qu’il faut beaucoup d’audace à un médecin de terrain pour oser un tel pronostic. Il sera, au pire, la prédiction exacte d’une vraie guerre civile, et au moins pire, une péroraison de plus.

Pour Trump et Musk, je n’envisage hélas que des traitements symptomatiques. Un traitement curatif sur leurs électeurs est désormais irréaliste en démocratie.

Référence

Guerre du gluten

31 mai 2025

Avec ses autopsies et ses microscopes, la méthode anatomoclinique a fait entrer la médecine dans la modernité. Les médecins pouvaient enfin voir la cause des maux qu’ils avaient auparavant essayé de décrire en écoutant et en palpant leurs patients. Cette révolution s’est accompagnée d’une scission des maladies en deux grandes catégories, celles où une lésion était visible, et celles dont aucun microscope ne parvenait à percer le secret. Les premières ont été nommées « organiques » et les secondes « fonctionnelles ». L’AVC est une maladie organique, la migraine est une maladie fonctionnelle.

Les maladies fonctionnelles sont le terrain de jeu des querelleurs. D’une part, des médecins qui psychiatrisent volontiers les plaintes que n’explique aucune défaillance de gène ou de catalyseur, de l’autre, des patients qui reprochent à la médecine de ne pas pouvoir ou vouloir nommer leur mal.  Ce sont parfois de véritables guerres que les patients finissent souvent par gagner. La guerre de la « crise de foie » a cessé avec la découverte des calculs biliaires, celle de l’endométriose avec les révélations de la coelioscopie et celle de la somnolence diurne avec l’enregistrement des apnées du sommeil.

La guerre du gluten est l’une des plus durables et des plus caricaturales avec sa radicalisation des deux camps. D’un côté, les « gentils », ceux qui pensent que le gluten est la cause de l’irritabilité du côlon, et qui incitent la médecine à s’intéresser enfin à ce problème négligé depuis la révolution néolithique. De l’autre côté, les « méchants » qui assimilent l’intolérance au gluten à un trouble mental tant que n’existe aucune preuve de maladie cœliaque.

La plupart de ces troubles « mystérieux » relèvent probablement de désordres immunitaires assimilables à des maladies auto-immunes de faible gravité que nos moyens actuels ne permettent pas de discerner.

Alors les « gentils » perdront la guerre du gluten si les sciences biomédicales parviennent un jour à démontrer chimiquement les interactions entre le psychisme et l’immunologie. Inversement, les « méchants » perdront cette guerre si l’on parvient à mettre au point un test fiable permettant de révéler des différences d’immunité cellulaire de la muqueuse intestinale face au gluten.

Seule la diplomatie peut mettre un terme aux guerres ; dans ce cas, elle consisterait à admettre notre incapacité à faire de telles recherches. Inversement, ce sont toujours les extrémistes qui font perdurer les guerres. Dans ce genre de guerre médicale, les fanatiques ne manquent pas seulement de moyens de recherche, mais ils manquent aussi d’envie.

Il serait stupide de comparer une guerre médicale à une vraie guerre, telle que la guerre israélo-palestinienne, par exemple. C’est pourtant le même extrémisme obtus des deux camps qui les nourrit, bien que dans la cas de la guerre du gluten, il reste encore l’espoir de plus de science.

Bibliographie

Infections et cancers

19 mai 2025

Pendant toute l’histoire de l’humanité, les maladies infectieuses ont été, de loin, la première cause de mortalité. Au néolithique, les zoonoses issues de nos animaux domestiques ont fait des ravages. Plus tard, l’urbanisation, les voyages intercontinentaux et la révolution industrielle ont déclenché des épidémies catastrophiques. Comme toutes les espèces vivantes, nos ancêtres avaient des pratiques d’hygiène, mais elles n’ont pas suffi contre ces nouvelles pressions parasitaires. Les médecins étaient la risée de tous, se contentant de décrire des maladies auxquelles ils ne comprenaient rien. Puis, avec l’hygiène réinventée par Pasteur, les vaccins et les antibiotiques, les médecins sont enfin devenus respectables.

Forte de ses victoires sur les maladies infectieuses, la médecine s’est intéressée aux maladies tumorales (cancers), en utilisant le même modèle. Certes, ces deux groupes de maladies résultent de défaillances du système immunitaire, mais les ennemis sont totalement différents. Les virus et bactéries sont des ennemis externes qui jouent parfois leur survie en nous choisissant comme hôtes. Les cellules tumorales, sont des ennemis internes, des cellules totalement indisciplinées et suicidaires qui acceptent de mourir avec leur hôte.

Lorsque les biologistes ont compris que toutes les lignées cellulaires d’un individu abritent des cellules tumorales, ils ont parlé du cancer comme d’un phénomène, plutôt que d’une maladie. Ils ont aussi compris que les modes de vie (alcool, tabac, sédentarité, obésité, polluants) accéléraient ces cancérisations. Heureusement, si l’on ose s’exprimer ainsi, la plupart des individus décèdent souvent d’autres causes avant d’être envahis par de multiples cancers. En nous faisant gagner trente ans d’espérance de vie, nos victoires sur les maladies infectieuses ont contribué à rendre les cancers plus visibles.

À vrai dire, le cancer est devenu un sujet plus politique que médical. Les présidents Nixon en 1971 et Chirac en 2003 sont allés jusqu’à proposer des plans d’éradication du cancer. La démagogie se libérait de la biologie. Et de façon plus risible, le pape français du transhumanisme, pour qui la médecine n’a d’intérêt que par son lucre, a déclaré que le cancer aurait disparu en 2030 !

Le sujet est assurément politique, puisque l’OMS a inscrit le cancer dans ses priorités, y compris en Afrique où les maladies infectieuses dominent encore largement. Dans les pays de l’OCDE, le cancer est considéré comme la première cause de mortalité. Ainsi, un « phénomène » inhérent à toutes les lignées cellulaires est désormais considéré comme la première maladie mondiale !

Mais, je ne veux pas être nihiliste, il faut évidemment poursuivre les recherches sur les causes et traitements des cancers, particulièrement chez les enfants. Car, quels que soient nos futurs progrès biologiques et conceptuels, mourir d’une leucémie ou d’une rougeole à 7 ans sera toujours plus abominable que de mourir de cancer ou de covid à 80 ans.

Références

Modes ou contagions sociales

4 mai 2025

La plus connue des épidémies de manie dansante est celle de Strasbourg en 1518 où des centaines de personnes dansèrent sans interruption, parfois jusqu’à mourir d’épuisement. Les médecins, pressés par les autorités, se sont contentés de nommer cette épidémie, à défaut d’en comprendre les ressorts individuels et collectifs. « Peste dansante » et « hystérie collective » sont les premiers mots qui ont recouvert leur ignorance.

Grégarisme, panurgisme ou contagion sociale sont les termes qu’utilisent aujourd’hui les sociologues pour désigner ce type de manifestation. Pèlerinages à Lourdes ou à La Mecque, danse à Woodstock, achats sur le seul critère du chiffre des ventes, tatouages et modes vestimentaires sont quelques exemples de ce communautarisme qui est le trait comportemental dominant de notre espèce. Trait dont l’expression culmine pendant la phase de vie adolescente.

Classiquement, les traits, morphologiques, physiologiques ou comportementaux sont considérés comme sélectionnés par l’évolution pour la préservation d’une espèce. Il faut en conclure que cette « peste dansante » ou les épidémies de suicides qui ont suivi la publication des « Souffrances du jeune Werther » au XVIIIème siècle et plus récemment le suicide de Marylin Monroe, sont des aberrations propres à notre espèce.

Les souverains et les prêtres ont toujours largement utilisé ce trait pour recruter leurs guerriers et leurs dévots. Ce sont aujourd’hui les réseaux sociaux et leurs influenceurs qui déterminent les contagions sociales, avec des effets tout aussi dévastateurs. Le phénomène le plus saillant est celui des populismes et complotismes qui gagnent nos démocraties et sont avant tout nuisibles à leurs adeptes, de la même façons que les dérives sectaires ne bénéficient qu’aux gourous. D’autres sont plus anecdotiques ou plus localisées comme la chloroquine popularisée par l’image atypique de son mentor. Mais on assiste hélas à des phénomènes plus graves comme la contagion sociale du transgenrisme où l’on voit des adolescentes et adolescents s’étant laissé abusivement mutiler, demander des détransitions lorsqu’ils deviennent adultes.

Si les sociologues sont volontiers catastrophistes en annonçant la fin des social-démocraties, les experts en écologie comportementale avouent leur incompétence à évaluer l’ampleur et l’avenir de ces nouvelles contagions communautaires.

Quant à moi, je suis à l’affut des quelques vérités qui peuvent m’aider à combler le gouffre de mon ignorance. Par exemple, les études ont montré que la chloroquine ne marche pas quand elle est donnée en même temps que l’extrême onction, mais que quelqu’un qui en consomme pendant cent ans vit très vieux.  Ou encore la vérité épidémiologique de Michel Audiard sur les miracles à Lourdes : « De 1858 à 1972, 34 guérisons miraculeuses ont été reconnues par les autorités médicales et 72 par les autorités religieuses. Et il y a eu 4272 accidents mortels de circulation sur la route du pèlerinage ».

Bibliographie

Biais politiques

22 avril 2025

Au VIème siècle avant JC, le pharaon Psammétique III a réalisé ce qui peut être considéré comme le premier essai clinique de l’histoire. L’objectif était de savoir quelle avait été la première civilisation, car une querelle opposait Egyptiens et Phrygiens, tous deux convaincus d’être le plus ancien peuple de la Terre.

Psammétique devait déjà connaître l’importance du critère principal pour la validité d’une étude, car il a choisi le langage, qui est assurément le déterminant majeur d’une civilisation.

Quant à la méthode, bien que peu éthique, elle fut digne d’un grand esprit scientifique. Il arracha deux nouveau-nés à ses parents et les confia à un berger, lui demandant de les nourrir au lait de ses chèvres avec interdiction absolue de leur parler…

Le premier mot que prononcerait l’un de ces enfants indiquerait alors logiquement la langue originelle de l’humanité.

Cette étude, établie pour une bonne raison, avec un bon objectif, un bon critère, une bonne méthode et un bon suivi, avait tous les ingrédients d’un essai clinique rigoureux.

Malgré tout, l’interprétation des résultats fut difficile pour des raisons essentiellement politiques. Le premier mot à consonnance phrygienne fut considéré comme un gazouillis par les Égyptiens et le premier mot à sonorité égyptienne fut jugé comme un braillement par les Phrygiens. Aucun des conseillers scientifiques des deux souverains n’eut la pertinence ou l’impertinence de faire remarquer qu’il aurait fallu avant tout définir ce qu’était un mot, un gazouillis ou un braillement. Prouvant que dans toute étude, le choix du critère principal est souvent sujet à caution.

Cette étude inaugurale montre déjà la difficulté de la science à expurger la politique, au sens large de ce terme incluant tous les biais idéologiques, religieux ou économiques de l’analyse. En particulier dans les sciences humaines et sociales où les critères sont plus difficiles à établir qu’en thermodynamique, géologie ou astronomie, en raison de la complexité et de l’instabilité de la matière étudiée.

Les biais des sciences biomédicales sont si nombreux qu’ils sont regroupés en types (sélection, classement, confusion, design primaire et secondaire, sources primaires et secondaires), chacun de ces types en comportant des dizaines dont la subtilité est inaccessible à la majorité des médecins et de leurs patients.

Mais, ne soyons pas si négatifs, car il existe des certitudes. Les nourrissons allaités par leur mère vont mieux que ceux allaités au biberon. La fertilité diminue beaucoup après trente ans. Mais toutes les études pour le prouver comporteront des biais, car ces sujets ont débordé le cadre de la science pour redevenir exclusivement politiques (toujours au sens large). Même les experts égyptiens n’auraient pas osé aller jusque-là.

Faute de critère, nous ne connaîtrons donc jamais la première langue de l’humanité… Faut-il encore faire des études pour connaître la toxicité exacte du cholestérol ou le bénéfice précis des dépistages ?  

Bibliographie

Promotion des maladies

12 avril 2025

Belle création du CNR en 1945, la Sécurité Sociale a rempli honorablement son contrat pendant les trente glorieuses. Puis, comme pour tout système d’assurance, le mutualisme a progressivement cédé sous la fraude et les abus, créant un déficit que l’État ne pouvait plus combler par les cotisations et que la démagogie empêchait de limiter. Le fameux « trou de la Sécu » s’est transformé en abysse, cette belle institution étant devenue le recours illusoire des problèmes mentaux et l’ultime cache-misère des problèmes sociaux.

Les coupables, de tous bords politiques et de toutes couches sociales, sont innombrables, et il n’est pas besoin d’être financier ou devin, pour prévoir l’implosion du système au détriment des plus nécessiteux.

La meilleure solution serait alors de supprimer des malades et des maladies ! N’en riez pas, puisque le numerus clausus et le contrôle de l’activité des médecins dans les années 1970 découlaient du principe implicite que les médecins sont la première cause de l’activité médicale, donc de la maladie au sens large de ce terme dont l’imprécision est gage de commerce illimité.

L’idée était alors de limiter l’offre pour limiter la demande. Comme toutes les autres, cette idée a échoué, car on a assisté inversement à une intense publicité pour les maladies, par tous les médias, tant privés que publics. N’en citons que quelques exemples cocasses.

La migraine a été promue, au prétexte que des migraineux ignoraient leur diagnostic. La DMLA promue pour vendre un médicament onéreux et inutile à la majorité des patients. France Inter a promu les AVC en incitant à appeler le SAMU au moindre signe rencontré dans la rue (chute, vertige ou bouche tordue). Imaginez les embouteillages aux urgences si les passants avaient pris la chose au sérieux. Plus récemment la télévision publique a incité nos concitoyens à reconnaître les symptômes de l’insuffisance cardiaque. J’espère que ceux qui ne parviennent plus à monter un étage ont déjà consulté leur médecin, quant aux autres, je leur conseille de faire de l’exercice et je leur souhaite d’être aussi heureux que les migraineux qui ignorent leur diagnostic.

Ceux qui n’ont pas encore compris que la publicité pour les maladies s’inscrit dans le pré marketing d’un médicament supposé la soigner, se laisseront encore tenter par d’autres maladies avant de sombrer dans de nouvelles chimies. Mais ce n’est pas aux services publics de les accompagner dans ces victimisations et soumissions.

On a même vu des publicités incitant les personnes qui se sentaient déprimées à participer à un essai clinique pour tester les antidépresseurs. Un médicament addictogène et remboursé pour soigner une maladie sans définition est assurément une excellente pelle pour creuser le « trou de la Sécu ». L’État s’alarme avec raison de ce déficit qui met en danger la solidarité nationale. Mais cette publicité irréfléchie et inconséquente pour les maladies est un danger beaucoup plus grave pour l’équilibre de tout l’édifice social.  

Bibliographie

Dans l’imbroglio des comorbidités

31 mars 2025

Le 21 mars 2025, les médias, alertés par la préfecture de la Réunion et l’AFP, annonçaient que le chikungunya avait provoqué le décès de deux personnes, l’une de 86 ans et l’autre de 96 ans. Le communiqué précisait que l’une des deux avait des comorbidités.

Je suppose que beaucoup de mes confrères et concitoyens en sont restés pantois.

Le mot « comorbidité » avait été popularisé lors de la mémorable épidémie de Covid 19, car il concernait l’immense majorité des personnes qui étaient décédées de cette maladie virale. Par ailleurs 95% des victimes avaient plus de 60 ans et, selon les données les plus fiables, leur moyenne d’âge était de 82 ans. Chiffres également constatés pour la grippe.  

Nous sommes donc en droit de conclure que tous les syndromes grippaux tuent presque exclusivement des personnes âgées et atteintes de comorbidités. Ou de façon plus imagée, à défaut d’être humoristique, qu’un syndrome grippal est la goutte qui fait déborder le vase des comorbidités.

Pour ajouter de la rigueur à cet exposé, il convient de dire que les mots « comorbidité » et « sénescence » sont presque synonymes, la sénescence étant l’ensemble des troubles physiopathologiques qui s’installent avec l’âge. Tout octogénaire est porteur d’arthrose, d’athérosclérose, de cellules cancéreuses dans tous ses organes et tissus, de dégénérescence des systèmes sensoriels et métaboliques, d’une baisse de la mémoire, de la vigilance, de la libido, de la filtration rénale, de la force d’éjection ventriculaire, de la capacité pulmonaire ou encore de l’élasticité cutanée. Son système immunitaire n’échappe évidemment pas à cette décrépitude que l’on a pris l’habitude de nommer plus élégamment « sénescence » ou « comorbidités ».

Les virus profitent donc des faiblesses du système immunitaire pendant que les autres membres de cette association de malfaiteurs s’attaquent à d’autres.

Lors du malheureux décès d’une personne âgée, les médecins, devenus porte-parole des sciences biomédicales soumises aux pressions politico-médiatiques, n’osent plus évoquer sa « belle mort » ou sa « mort naturelle ». Ils doivent impérativement extraire de cet imbroglio physiopathologique une insuffisance respiratoire, un AVC, un cancer, une grippe ou un chikungunya.

Il nous reste donc à trouver les raisons qui poussent les autorités et les médias à condamner exclusivement les virus dans l’immense liste des morbidités dont le potentiel de létalité est souvent bien supérieur à celui de ces microorganismes.

C’est peut-être simplement par manque de temps, car même avec des dizaines de chaînes d’information continue, les journalistes n’ont pas le temps d’énumérer et de donner l’âge des personnes âgées mortes d’AVC, de chute dans l’escalier, d’anurie, de fausse route alimentaire ou de neurodégénérescence avancée…

Bien que ces morbidités soient plus télégéniques que le chikungunya.

Référence

Changement d’obsession

22 mars 2025

L’histoire de la médecine montre explicitement que le diagnostic a toujours été un art noble réservé aux seuls médecins, alors que les diverses thérapies étaient abandonnées aux apothicaires, moines, barbiers, matrones ou chamanes.

L’obsession diagnostique des médecins s’est renforcée avec l’apparition des premières thérapies médicales et chirurgicales véritablement efficaces. Au milieu du XXe siècle, il aurait été honteux de rater le diagnostic d’une maladie relevant d’un acte chirurgical efficace ou d’une infection contagieuse (syphilis ou tuberculose) que les premiers antibiotiques pouvaient soigner. Cependant, si tous les autres diagnostics avaient peu ou pas de conséquences pratiques, les médecins tenaient à les formuler pour leur satisfaction intellectuelle ou esthétique. 

Cette exclusivité médicale et cette priorité scientifique du diagnostic ont toujours été au cœur de l’enseignement dans les facultés de médecine. Malgré l’arrivée de traitements plus performants, un bon médecin se définissait avant tout par son expertise diagnostique.

Puis lorsque l’état sanitaire des populations a continué à s’améliorer pour d’autres raisons, essentiellement sociales, la médecine a changé son obsession diagnostique en une obsession thérapeutique, même en l’absence de symptôme ou de maladie.

Dans le domaine de la prévention pharmacologique, la Faculté ne connaissait que les vaccins, mais sous la pression du marché, les universités ont commencé à enseigner la prévention pharmacologique pour toutes sortes de maladies non-infectieuses. C’est alors l’existence de médicaments supposés actifs qui a guidé la nosologie, cette science du classement des maladies. 

Ce renversement total de paradigme est patent en psychiatrie où le diagnostic d’une maladie est fait par l’administration d’un médicament supposé la soigner. Mais cela se voit aussi de façon moins caricaturale pour les maladies cardio-vasculaires, tumorales ou neuro-dégénératives ou l’on propose souvent des traitements médicaux ou chirurgicaux bien longtemps avant l’apparition d’un éventuel premier symptôme. Cela revient à priver la médecine de tout diagnostic précis, pire encore, à lui supprimer définitivement les moyens d’améliorer ses connaissances.

Il ne nous sera désormais plus possible de savoir quelle est l’évolution des cellules cancéreuses d’un organisme au cours des phases d’une vie, ni de connaître les fluctuations naturelles de la pression artérielle, de l’humeur ou de la glycémie en fonction des modifications du mode de vie.

Cette nouvelle obsession thérapeutique a non seulement privé les médecins de la satisfaction intellectuelle et esthétique des diagnostics, elle les a aussi asservis en leur supprimant définitivement l’accès à la connaissance. Quant aux facultés de médecine, leur assujettissement a été plus lent, mais il apparaît encore plus irrémédiable.

Bibliographie