Chaque année, le tour de France cycliste lance un concours international de médecine moléculaire. Pendant longtemps, cette compétition a été un championnat de pharmacologie. C’était après l’époque des pionniers qui soignaient eux-mêmes leurs vélos et leurs contractions musculaires, et avant que des tests permettent de déceler les dopants usuels. Les contrôles anti-doping ont stimulé la recherche, il fallait utiliser des molécules qui n’étaient pas décelable par les tests diagnostiques. EPO, stéroïdiens et anabolisants ont été les molécules les plus utilisées par les coureurs jusqu’à ce que les progrès du diagnostic moléculaire permettent de les détecter. D’autres dopages (méthylphénidate, hormone de croissance, beta2-stimulants) ont été plus difficiles à confirmer, entraînant une « course aux armements » entre les pharmacologues et les concepteurs de tests diagnostiques. Cette course ressemble à celle de la reine rouge de Lewis Carroll qui est obligée de courir toujours plus vite pour rester à la même place. Aujourd’hui, le dopage génétique est strictement indétectable.
Mais les amateurs de cyclisme ne s’intéressent pas à cette compétition moléculaire aux résultats incertains ; quant aux cyclistes, ils ne s’intéressent pas à leur avenir sanitaire à moyen ou long terme. Seul compte le résultat de l’étape du jour.
Lorsque les dosages chimiques sont contestables, on peut se fier à l’épidémiologie qui montre qu’avant 1939, l’espérance de vie des coureurs du tour était de 75 ans contre 60 ans pour les autres Français et qu’en 2006, les chiffres étaient strictement inverses. D’autres études montrent que la mortalité toutes causes confondues est moindre chez les sportifs, mais que chez les sportifs de haut-niveau, elle devient identique à celle des sédentaires. Le sport est excellent pour la santé, la performance l’est beaucoup moins : preuve indirecte des grands progrès de la médecine moléculaire.
D’ailleurs, en fin de course (si l’on peut s’exprimer ainsi), c’est toujours elle qui gagne. Le chiffre d’affaires des industries du diagnostic est en train de rattraper celui des industries du médicament. Il n’est plus une fièvre qui échappe à un test de sérologie virale, plus un ronflement qui échappe à une polysomnographie, plus un éternuement qui échappe au dosage des immunoglobulines. Cette course de la reine rouge atteint son paroxysme en cancérologie où les diagnostics anatomo-pathologiques usuels se sont transformés en tests de contrôle de thérapies de plus en plus ciblées et de plus en plus coûteuses. Il y a toujours un vainqueur à chaque étape, mais le long terme n’a pas vraiment de quoi réjouir les épidémiologistes.
Nos prouesses moléculaires sont aussi impressionnantes que celles des coureurs du tour, et la fête est si belle qu’il faut empêcher les épidémiologistes de la gâcher…
Qu’ils se concentrent exclusivement sur le résultat de l’étape du jour.