Après des millénaires d’individualisation et d’empirisme, le soin médical est devenu populationnel dans les années 1960 avec la domination de la médecine dite « basée sur les preuves » – ces preuves étant exclusivement statistiques.
Nos cerveaux avaient été façonnés pendant des milliers d’année pour évaluer le soin à court-terme sur des critères individuels, c’est ce que l’on nomme l’effet clinique.
Lorsqu’une évolution est trop rapide, les processus d’adaptation cognitive ne suivent pas. Dans le cas du soin, nos perceptions de santé individuelle et de santé publique ne sont toujours pas connectées. Aucun circuit neuronal n’a été esquissé pour de telles connexions.
Le patient qui prend un médicament dont le bénéfice statistique est nul ou négligeable est convaincu que son bénéfice individuel sera très important. L’accoucheur qui pratique une épisiotomie pour éviter un délabrement périnéal ignore que cette intervention n’a jamais modifié la fréquence de cet accident. Chaque fumeur est convaincu qu’il échappera aux cancers et infarctus, mais il se précipite sur les angioplasties coronaires qui ne modifieront que fort peu sa durée de vie.
Depuis la saignée jusqu’aux immunothérapies des cancers, les exemples abondent où les convictions et espérances individuelles, tant des médecins que des patients, sont totalement déconnectés des réalités sanitaires.
L’automobile offre plusieurs exemples de cette déconnexion, pire, elle semble devoir inhiber pour longtemps toute nouvelle connexion.
Osons un premier exemple trivial. Un pèlerin qui se rend à Lourdes en voiture dans l’espoir d’une guérison miraculeuse dont la chance de survenue est de 1/10 000 000, ignore que son risque d’accident mortel sur la route du pèlerinage est de 1/10 000. Le risque est mille fois plus élevé que le bénéfice escompté.
Dans notre pays, la méningite C tue cinq enfants par an, alors que les accidents de la route en tuent plus de cent. Mais une obligation vaccinale anti-méningocoque est plus acceptable que de nouvelles consignes de sécurité routière.
La pollution atmosphérique automobile est aujourd’hui responsable de plus de morts que toutes les maladies infectieuses réunies. Cependant, nul ne perçoit l’intérêt individuel qu’il y aurait à changer de voiture ou à respecter les limitations de vitesse en cas de pic de pollution. La guerre, le crime et le terrorisme réunis font moins de morts que les accidents automobiles qui tuent 1,25 millions de personnes chaque année. La voiture inhibe tous les processus d’association entre santé publique et individuelle.
Elle est en outre le plus gros frein à l’exercice physique quotidien, lequel est le meilleur pourvoyeur de quantité-qualité de vie. Même les cyclistes et piétons qui respirent pourtant plus d’air pollué que les automobilistes ont un bénéfice sanitaire supérieur lié à l’exercice pratiqué.
Le ministère de la santé peut s’affranchir de tous les autres thèmes, tant qu’il n’a pas abordé farouchement celui de l’automobile.
Mots-clefs : automobile, santé individuelle, santé publique, statistiques