Ce matin-là, il sifflote, la vie est plutôt belle.
Dans sa boîte aux lettres, pourtant recouverte d’une étiquette interdisant la publicité, un courrier l’invite à dépister un éventuel cancer silencieux du côlon. Il déchire la lettre et démarre son véhicule où l’autoradio entame une musique qui lui redonne envie de siffloter… Tout à coup, un « spot » l’avertit qu’il souffre peut-être d’une dépression sans le savoir, car il existe des dépressions dites « masquées » dont il faut se méfier. Incroyable ! Il sourit à l’idée que les dépressions peuvent être aussi masquées que les publicités. Un vrai carnaval !
Cela lui rappelle son ami, visiteur médical, marchand d’antimigraineux, affirmant que l’on pouvait avoir des migraines sans le savoir ! Il avait alors brocardé qu’en cas de migraines, il choisirait celles-ci !
L’autoradio diffuse maintenant une émission sur l’hyperactivité infantile. Le spécialiste interrogé insiste sur le fait que les médecins et les parents sous-estiment ce problème.
Lorsqu’il arrive sur son lieu de son travail, il ne sifflote plus. Un dernier spot l’interpelle : « Si dans la rue, vous voyez quelqu’un avec la bouche tordue, n’hésitez pas à appeler le SAMU, car c’est peut-être un accident vasculaire cérébral. » De tels propos ne s’inventent pas. Il éclate de rire : « voilà, je vous appelle parce-que j’ai vu une dame avec la bouche tordue. »…
En faisant ses courses après sa journée de travail, il se surprend à regarder les étiquettes des produits, alors qu’il ne le fait jamais. Il y est question de protection contre les mauvaises graisses. Une étiquette plus savante vante un produit qui rallonge les télomères ; il a déjà entendu parler de ces trucs-là, et il suppute qu’il doit être préférable d’avoir de plus longs télomères.
Enfin arrivé chez lui, il apprécie sa chance d’avoir un appartement avec une belle vue sur Paris. Tiens, la tour Eiffel est décorée de rose. Que se passe-t-il ?
Mais tu sais bien que c’est « octobre rose », le mois de l’incitation au dépistage du cancer du sein lui répond sa féministe de conjointe. Mais rassure-toi, les hommes ne sont pas exclus, car le mois prochain c’est « movember » (moustaches de novembre) pour promouvoir le dépistage du cancer de la prostate… Non, non, elle n’a pas inventé cela non plus…
Au fait, j’ai vu le médecin de ma mère aujourd’hui, il me dit qu’elle pourrait avoir un déficit cognitif, c’est bizarre, je ne m’en suis pas aperçu. Et toi ?
Moi non plus, mais c’est peut-être parce-que nous avons un déficit cognitif ?
Décidément rien ne l’empêchera de rire aujourd’hui. Sauf peut-être la lecture de son journal économique qui lui apprend que le marché de la santé représente 11,6% du PIB. Son cerveau pédale alors à toute allure… Comment la part de PIB perdue par la baisse du moral des ménages, peut être regagnée par le surplus de marché sanitaire qu’engendre la propagande alarmiste qui baisse à son tour le moral des ménages ?
Un vrai casse-tête à donner une migraine non masquée.
Mots-clefs : communication sanitaire, migraine, surmédicalisation
Pour couronner le tout, le généraliste, pivot du système de santé, va vous aider à prévenir toutes ces pathologies graves évitables pour la modique somme de 23 euro (25 à partir du premier mai 2017….).
C’est à lui que revient la tache de mettre en œuvre tous ces protocoles.
Bien sur il n’a que ça à faire, sauf que les généralistes libéraux sont en train de disparaitre.
Rien de plus normal car, en matière économique il faut que tout soit rentable. Or la médecine de premier recours ne nécessite pas une offre de soin surdimensionnée. Exit les médecins.
La délégation de tache aux auxiliaires médicaux suffira amplement…