Le bon critère

La définition de tout objet de science (planète, espèce, tempête ou pauvreté) repose sur des critères qui peuvent varier au cours du temps et des connaissances. La médecine utilise des critères pour établir des diagnostics et évaluer des traitements. Ces critères sont quasi immuables en infectiologie ou traumatologie, ils sont variables en cardiologie, plus encore en cancérologie, et très instables en psychiatrie. Une autre complexité de la médecine est celle de l’immanence des critères selon qu’ils sont établis par le patient ou le médecin. Une blague classique est celle du patient décédé alors que le chirurgien était satisfait de l’intervention. Inversement un patient peut être satisfait ou guéri par un traitement dont les critères d’évaluation sont absents. Ces deux exemples illustrent les deux radicalismes du soin. Un traitement théoriquement parfait peut n’avoir aucun effet clinique et un traitement ésotérique peut se montrer efficace. On objectera que les maux traités par l’académisme sont plus graves que ceux traités par l’ésotérisme. Cette objection est recevable à condition qu’un diagnostic basé sur des critères précis ait précédé un traitement évalué par des critères précis ; ce qui est rarement le cas quelles que soient les pratiques académiques ou alternatives. D’un côté, on traite radicalement des maladies dont les critères de diagnostic sont invalides, de l’autre la satisfaction immédiate du patient devient l’unique critère d’évaluation d’un traitement.

Dans un monde parfait, les critères diagnostiques devraient être la prérogative des médecins, alors que les patients auraient la charge d’établir les critères du soin. Hélas l’impatience est au cœur de toutes les pratiques. Pourtant, en dehors de rarissimes urgences diagnostiques et thérapeutiques connues depuis longtemps, on a toujours largement le temps d’évaluer les critères de diagnostic et de soin.

Le dépistage des cancers caricature ces impatiences. Un patient se soumet volontiers à un dépistage, si on lui dit qu’il diminue le risque de mourir d’un cancer dans les dix ans à venir. Si on lui explique que pendant ces mêmes dix années, cela ne modifie pas son risque de mort, toutes causes confondues, il hésite ou ne comprend pas.

Ces deux assertions sont pourtant exactes, révélées par les plus pertinentes méta-analyses : un dépistage diminue très légèrement le risque de mourir de la maladie dépistée sans diminuer le risque global de mourir durant la même période. Les explications sont multiples et chacun a la sienne.

En épistémologie du soin, le seul critère valable est celui de la mortalité globale ; tous les autres critères sont dits « intermédiaires » ou « de substitution ». La grande majorité des essais cliniques n’ont ni la puissance statistique ni la durée suffisantes pour le critère essentiel.

Si la médecine a beaucoup progressé dans l’élaboration des critères diagnostiques, osons dire qu’elle est encore balbutiante dans l’élaboration des critères thérapeutiques.

Bibliographie

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