Hippocrate pensait qu’il était impossible d’étudier et de connaître tout ou partie du corps sans prendre en considération son milieu. « Pour approfondir la médecine, il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants ». Dans le même temps, de l’autre côté du monde, Confucius enseignait le « Ge wu », consistant à scruter la nature concrète des êtres et des choses : « L’efficacité du milieu juste est suprême, mais la plupart des gens en ont perdu la notion depuis longtemps ». Un peu plus tard, les taoïstes disaient que « le sage devrait imiter les saisons, l’eau, la terre, etc. ». L’individu et l’environnement étaient jugés indissociables bien avant Darwin.
De vagues notions notion d’hygiène, de souillures, de contagion et d’infection ont traversé les civilisations avec plus ou moins de succès au gré des croyances et des modes. Les romains, urbanistes de génie, géraient leurs eaux et leurs égouts. Lucrèce affirmait que la contagion pouvait faire mourir autant que le châtiment divin. En l’an mille, dans le monde arabe, Avicenne enseignait l’hygiène dans son Canon de médecine pendant que l’Europe jetait ses immondices dans les rues et dans les rivières dont elle buvait l’eau. Les Vénitiens, à la fin du XVème siècle, faisaient subir la quarantaine aux navires venant d’orient.
Au XVIème siècle, Girolamo Fracastoro parle des « seminaria prima » capables de passer d’un individu à l’autre et de se multiplier pour donner des maladies comme la peste, la syphilis, la tuberculose ou le typhus. Les idées de ce poète et médecin italien furent oubliées avant de renaître avec Pasteur et Koch.
Au XVIIIème siècle, la France des Lumières développe l’idée que le destin des épidémies n’est peut-être pas inexorable. La société royale de médecine essaie de secouer la léthargie des médecins en leur demandant de faire des relevés précis de la cartographie et de la « météorologie » des épidémies.
Au XIXème siècle, deux mille ans après les romains, les hygiénistes anglais se remettent à considérer la « saleté » de la cité et mettent en place l’alimentation en eau potable et le tout-à-l’égout. Prémices d’un courant appelé hygiène sociale attribuant la maladie aux comportements et aux agents infectieux. La vaccine de Jenner et l’apothéose pastorienne établiront l’irréversibilité de ce concept qui définira le rôle essentiel du médecin moderne.
Au XXème, les maladies non transmissibles ont été incluses dans la définition de la médecine préventive : « Spécialité médicale concernant la prévention des maladies, ainsi que la promotion et la préservation de la santé chez l’individu. »
Contre ces « maladies sans microbes », l’éducation prime sur l’hygiène sociale. Et malgré la connaissance des problèmes de nutrition, d’addiction et de sédentarité, ce ne sont plus les scientifiques et les politiques qui mènent la barque.
La route risque d’être plus tortueuse que pour les maladies transmissibles.