Il faut éviter d’aller à l’hôpital, car la mortalité y est très élevée. Cette blague fort connue révèle aussi en filigrane l’utilité des hôpitaux, réceptacles de tous nos drames.
De nombreuses études se sont pourtant intéressées à leurs dangers réels, c’est-à-dire aux cas où l’hospitalisation constitue ce que l’épidémiologie médicale nomme une « perte de chance ».
Le premier médecin connu pour cette audace est Cabanis, qui, bien que membre de l’Institut, osa déclarer : « Dans les grands hôpitaux, les plaies les plus simples deviennent graves, les plaies graves deviennent mortelles, et les grandes opérations ne réussissent presque jamais. » De nos jours, cette assertion de 1790 est injuste et déplacée malgré la réalité des maladies nosocomiales.
Il est pourtant un domaine où l’épidémiologie rejoint la blague potache et conforte la lèse-majesté de Cabanis, c’est le domaine de la gériatrie.
Pendant les plus belles années de l’hôpital, maintes études mettaient déjà en cause l’hospitalisation des personnes âgées. De nos jours, la dégradation hospitalière empêche de s’aventurer sur ce terrain, car de telles publications se mueraient en diatribe. Alors, les études vont dans le détail pour se donner un air plus scientifique que politique. Elles montrent que l’oxygène, les perfusions, la prévention cardiovasculaire, les antibiotiques, hormones, stimulants et autres médicaments prescrits en abondance aux vieillards ne retardent pas leur mort, toutes causes confondues, voire l’accélèrent. Même en pleine épidémie de Covid-19, avec les vaccins et les soins appropriés, les patients âgés pouvaient mourir d’un simple rhume. Immunosénescence et nosocomial n’ont jamais fait bon ménage.
Il ne faut pas affronter ce dramatique problème en dénonçant les milliards dépensés inutilement, car tout ce qui a une apparence comptable est politiquement incorrect. Il faut l’aborder par l’autre bout en conseillant à chacun de « guérir en cachette ». Et lorsque tout espoir de guérison est dépassé – situation qui devient fréquente avec l’âge – il faut alors guider la famille vers la morphine à domicile. La morphine reste la plus belle invention de l’humanité et l’anthropologie nous apprend que le domicile a toujours été son principal objectif.
Sans oublier de bien préciser aux proches que « mourir en cachette » est aussi un bon choix qui ne diminue ni la quantité ni la qualité de vie, au contraire.
L’opium étant mentionné dans les papyrus médicaux de l’Egypte pharaonique, la mort pouvait déjà être une chose simple. Alfred de Vigny ne s’y est pas trompé en faisant dire à son Moïse parlant à Yahvé : « Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. »
Il faudrait pouvoir recréer le lien entre morphine, famille et domicile. Auparavant c’était le médecin généraliste. Malheureusement cette profession après avoir été en manque d’autonomie est désormais en manque de candidats.
Adieu sommeil de la terre.