Phrénologies du futur

La médecine a longtemps été une pratique incantatoire. Puis, au début du XIXème siècle, des praticiens moins obscurantistes ont eu l’idée d’autopsier leurs patients pour établir un rapport entre les lésions du cadavre et les symptômes observés de son vivant. Cette méthode dite « anatomoclinique » a inauguré la médecine moderne. Certes, les patients mouraient toujours sans savoir pourquoi, mais les médecins le savaient enfin.

Aujourd’hui, la technologie (imagerie, microscopie, biologie, sérologie ou génétique) permet de faire les diagnostics bien longtemps avant la mort. Les patients savent, eux aussi, de quoi ils vont mourir. Néanmoins, l’obscurantisme n’a pas disparu, car le délai entre l’instant du diagnostic et l’instant fatal est encore sujet à nombre d’hypothèses saugrenues englobées sous le terme flatteur d’ « art médical ». Si chacun considère désormais le diagnostic comme une science, les pratiques qu’il suscite relèvent plus souvent d’art, d’artisanat, de divinations, de mercatique ou autres incantations, que de science exacte.

Par ailleurs, certains processus pathologiques échappent encore au concept anatomoclinique ; vous l’aurez deviné, ce sont majoritairement les processus des troubles mentaux. Les médecins préfèrent parler de « troubles » que de maladies tant qu’ils n’ont pas trouvé de « signature » radiologique, endoscopique, métabolique ou génétique, ni du vivant du patient, ni après sa mort. Ces troubles sont un véritable casse-tête pour les médecins (si l’on peut s’exprimer ainsi), mais on a pris l’habitude de les leur confier malgré tout.

Les médecins se sont alors acharnés à trouver des « signatures » ou « marqueurs », tels que déficit hormonal de dépression, encéphalogramme de schizophrénie, gène d’autisme, métabolisme de maladie bipolaire, synapses d’hyperactivité ; sans trop de succès jusqu’à présent. Faute de diagnostic, ils ont inventé des « échelles » d’évaluation pour les troubles de l’humeur et du comportement.

La phrénologie (science des formes du crâne) a été la première tentative d’anatomie des troubles mentaux. Lombroso l’a utilisée pour diagnostiquer l’instinct criminel. Après lui les généticiens ont déjà déniché trois gènes de la délinquance. Plus récemment on a établi un rapport entre des images cérébrales et le « trouble pédophile » ou entre l’électricité de la rétine et plusieurs troubles psychiatriques dont la schizophrénie, les addictions et l’hyperactivité. L’intelligence artificielle a même établi des corrélations entre des caractéristiques vocales et la dépression. Ceci n’étant qu’un bref aperçu de cette nouvelle imagination anatomoclinique.

Les meilleurs cliniciens de demain devront-ils rompre avec ce paradigme pour protéger leurs patients ? Tant d’examens sont déjà inutiles et anxiogènes. Demain, il sera préférable de s’abstenir de pires pour éviter des prophéties médicales auto-réalisatrices de dépression, de délinquance ou de pédophilie…  

Bibliographie

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