Changement d’obsession

L’histoire de la médecine montre explicitement que le diagnostic a toujours été un art noble réservé aux seuls médecins, alors que les diverses thérapies étaient abandonnées aux apothicaires, moines, barbiers, matrones ou chamanes.

L’obsession diagnostique des médecins s’est renforcée avec l’apparition des premières thérapies médicales et chirurgicales véritablement efficaces. Au milieu du XXe siècle, il aurait été honteux de rater le diagnostic d’une maladie relevant d’un acte chirurgical efficace ou d’une infection contagieuse (syphilis ou tuberculose) que les premiers antibiotiques pouvaient soigner. Cependant, si tous les autres diagnostics avaient peu ou pas de conséquences pratiques, les médecins tenaient à les formuler pour leur satisfaction intellectuelle ou esthétique. 

Cette exclusivité médicale et cette priorité scientifique du diagnostic ont toujours été au cœur de l’enseignement dans les facultés de médecine. Malgré l’arrivée de traitements plus performants, un bon médecin se définissait avant tout par son expertise diagnostique.

Puis lorsque l’état sanitaire des populations a continué à s’améliorer pour d’autres raisons, essentiellement sociales, la médecine a changé son obsession diagnostique en une obsession thérapeutique, même en l’absence de symptôme ou de maladie.

Dans le domaine de la prévention pharmacologique, la Faculté ne connaissait que les vaccins, mais sous la pression du marché, les universités ont commencé à enseigner la prévention pharmacologique pour toutes sortes de maladies non-infectieuses. C’est alors l’existence de médicaments supposés actifs qui a guidé la nosologie, cette science du classement des maladies. 

Ce renversement total de paradigme est patent en psychiatrie où le diagnostic d’une maladie est fait par l’administration d’un médicament supposé la soigner. Mais cela se voit aussi de façon moins caricaturale pour les maladies cardio-vasculaires, tumorales ou neuro-dégénératives ou l’on propose souvent des traitements médicaux ou chirurgicaux bien longtemps avant l’apparition d’un éventuel premier symptôme. Cela revient à priver la médecine de tout diagnostic précis, pire encore, à lui supprimer définitivement les moyens d’améliorer ses connaissances.

Il ne nous sera désormais plus possible de savoir quelle est l’évolution des cellules cancéreuses d’un organisme au cours des phases d’une vie, ni de connaître les fluctuations naturelles de la pression artérielle, de l’humeur ou de la glycémie en fonction des modifications du mode de vie.

Cette nouvelle obsession thérapeutique a non seulement privé les médecins de la satisfaction intellectuelle et esthétique des diagnostics, elle les a aussi asservis en leur supprimant définitivement l’accès à la connaissance. Quant aux facultés de médecine, leur assujettissement a été plus lent, mais il apparaît encore plus irrémédiable.

Bibliographie

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