En attente du grand progrès

Dans un texte de 1991, Jean Girard citait les premières ordonnances en fonction de l’origine culturelle du médecin et de sa représentation des maladies. Il prenait l’exemple d’un tableau clinique associant une oppression thoracique accompagnée de malaise, fatigue et palpitations.

Un Allemand diagnostiquait volontiers une insuffisance cardiaque et prescrivait de la digitaline, un Anglais pensait à une névrose et prescrivait une benzodiazépine, un Américain optait pour une attaque de panique et prescrivait un antidépresseur. Un Espagnol penchait pour une asthénie et prescrivait un stimulant contenant de la caféine. Un Français évoquait une spasmophilie et prescrivait du calcium et du magnésium.

Ne critiquons pas leur difficulté diagnostique, habituelle dans un tel cas, mais leur précipitation à faire une ordonnance. Avec sa digitaline l’Allemand risquait d’aggraver dangereusement un infarctus. L’Anglais et l’Américain prescrivaient des traitements qui pouvaient entraîner une addiction à vie. La caféine de l’Espagnol accélérait les palpitations. Saluons tout de même le Français, non par chauvinisme, car il prescrivait des médicaments inutiles pour une maladie qui n’existe pas, mais seulement parce que sa prescription n’avait pas d’effet indésirable.

Aujourd’hui, devant un tel tableau, les médecins de ces pays pratiquent plusieurs examens complémentaires, sauf s’ils ont une absolue certitude de la bénignité du cas. C’est un réel progrès, même si l’excès d’examens paracliniques peut présenter d’autres nuisances.  Hélas, la vieille habitude de faire des ordonnances sans avoir de certitude diagnostique n’a pas disparu. On se précipite toujours sur un antalgique, un tranquillisant ou un placebo qui feront croire à leur action positive en cas de disparition du trouble. On se prive ainsi de la connaissance de l’évolution naturelle des tableaux cliniques.

On peut résumer en affirmant que le risque d’agir à l’aveugle est supérieur au risque d’attendre un diagnostic certain. La seule urgence est d’avoir un diagnostic de certitude, et, fort heureusement pour la médecine, les véritables urgences sont le plus souvent détectables avec des examens relativement simples et rapides.    

Tout est question d’époque, de mode et de culture. La mode de la médecine académique actuelle est de dépister sans symptôme ; on ne perd plus seulement la connaissance de l’évolution des maladies, on perd aussi la connaissance de leur début.

Contre ces excès, nombre de citoyens se tournent vers des médecines dites alternatives qui n’échappent pas davantage aux modes. Ainsi devant un symptôme inexpliqué, un médecin alternatif d’aujourd’hui propose presque toujours un régime sans lactose et sans gluten. On peut supposer que ces régimes d’exclusion sont moins nocifs que les ordonnances prescrites à l’aveugle.

Attendons le grand progrès de l’abstention thérapeutique pour mieux connaître l’histoire naturelle de la majorité des tableaux cliniques.

Références

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