Bien avant Booz et Noé, chacun savait qu’un bon sommeil est gage de bonne santé. Maintenant, nous savons que le manque de sommeil augmente le taux de CRP et que ce marqueur d’inflammation est très mauvais pour la santé.
Bien avant Mathusalem, la vieillesse avait été abondamment vérifiée. Ensuite elle a pu être suivie grâce au calendrier grégorien, et aujourd’hui, on peut la confirmer par le raccourcissement des télomères.
Bien avant que William Harvey n’explique en détail la circulation du sang, chacun savait qu’il avait l’âge de ses artères. Ensuite on a découvert que les plaques d’athérosclérose sont plus fréquentes avec l’âge, puis que la lipoprotéine A favorise la nécrose de ces plaques et donc les accidents vasculaires. On peut désormais regarder vieillir les artères. On a même découvert que tous les marqueurs biologiques de risque cardio-vasculaires augmentent lorsque l’on mange trop, surtout trop de sucre.
Hippocrate n’est pas le premier à avoir compris les dangers de l’obésité, mais il a insisté lourdement sur les excès nutritifs. Aujourd’hui le surpoids est devenu une question de ghréline, de leptine, d’acides gras et de résistine ; cette dernière molécule permet aussi de révéler des liens entre obésité et athérosclérose. Découverte permettant d’affirmer que les obèses vieillissent aussi.
La démence était une infamie de l’âge avant qu’une technique de coloration permette à Monsieur Alzheimer de découvrir des fibrilles dans les vieux neurones. Aujourd’hui, on découvre des protéines tau et beta-amyloïdes dans les cerveaux des déments. Il ne s’agit donc plus d’une calamité de l’âge, mais d’une calamité moléculaire.
Tout lecteur attentif aura suspecté mes railleries. Certains pourraient même me reprocher de dénigrer la science et la médecine moléculaire. Ce n’est pas vrai. Cependant, le bon sens et un respect immodéré pour l’empirisme me confèrent une modestie de profane.
Jenner et Pasteur ignoraient tout de l’immunologie. La variolisation était déjà pratiquée dans la Chine ancienne et elle fonctionnait assez bien sans que l’on ne sache ni comment, ni pourquoi quelqu’un avait eu une idée aussi géniale et aussi saugrenue.
L’obsession moléculaire de la médecine ne permettra jamais de savoir si la dépression est un problème de sérotonine, de noradrénaline ou de dopamine tant que nous n’aurons pas auparavant défini cette maladie avec précision. Mais cette obsession débouche parfois sur des miracles comme des traitements favorables aux enfants atteints de mucoviscidose, myopathies ou autres maladies rares.
Je n’ai donc aucun droit de railler nos découvertes moléculaires, ne serait-ce que pour leur potentiel de fascination et d’utopies. Et si, à force de confirmer incessamment qu’il est vraiment bénéfique de bien dormir, de manger peu et de bouger beaucoup, elles finissent par nous en convaincre, alors elles n’auront été ni illusoires, ni vaines.