Peste ou choléra

On ne peut reprocher à quiconque de méconnaître l’Histoire de l’épidémiologie des maladies infectieuses, car elle n’est enseignée dans aucune école.

À l’heure d’un choix crucial pour notre avenir et surtout celui de nos enfants, on entend souvent des concitoyens dire qu’ils s’abstiendront de voter pour ne pas avoir à choisir entre la peste ou le choléra. Cette expression populaire est née en France au XIX°, alors que la dernière peste de Marseille de 1720 hantait encore certaines mémoires. Chacun croyait en avoir fini avec ce fléau qui durait depuis plus de quatre siècles.

En 1817, le choléra quitte le port de Calcutta, traverse la Russie en décimant les soldats du Tsar et entre en Europe par Berlin où il tue le philosophe Hegel en deux jours, et atteint la France en 1832. Avec les taudis de l’urbanisation galopante, le choléra flambe et ranime l’inconscient collectif de la peste.

Nul ne peut comprendre aujourd’hui ce que pouvait être une maladie qui avait tué 35% de la population européenne en deux ans, alors qu’une maladie qui en tue 0,2% dans le même laps de temps suffit à briser la vie sociale. Nous avons perdu le sens de la nuance en épidémiologie. Mais ceux qui avaient comparé le choléra à la peste avaient déjà commencé à le perdre, car ces deux épidémies sont peu comparables. D’abord sur les chiffres, puisque chacune des épidémies de choléra a tué 1 à 3% de la population en Europe, soit 30 fois moins que la peste. Ensuite sur les moyens de lutte. Dès les premières épidémies, en 1854, le médecin anglais John Snow effectua un travail épidémiologique historiquement remarquable qui permit de comprendre le mode de transmission de la maladie par l’eau contaminée. Dès lors, la prévention par l’hygiène devint relativement compréhensible par tous, et il n’a fallu que quelques années pour venir assez rapidement à bout des nouvelles épidémies. Les épidémies de choléra en Europe ont duré un demi-siècle contre les quatre siècles des épidémies de peste.

Bref, si le choléra a logiquement réveillé des peurs ancestrales, il n’est en rien comparable à la peste et le dicton du choix entre peste et choléra a perdu presque toute sa substance.

Je concède qu’utiliser la médecine et l’épidémiologie pour s’immiscer dans la politique puisse être critiquable. Mais nul ne contestera qu’aucune science, ni aucune pratique ne peuvent s’abstraire totalement de la politique.

En conclusion, que ceux qui veulent s’abstenir par hésitation, choisissent le choléra sans aucune hésitation. C’est, de très loin, le moins pire des deux, d’un facteur que l’on peut quantifier de trente à cent… Voire plus…

Références

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