La résistance à la pénicilline était identifiée en laboratoire en 1940 avant même sa commercialisation en 1943. Mais ce médicament miraculeux a empêché la mort par septicémie après les blessures de guerre et il a neutralisé la syphilis, sans compter quelques autres miracles en pédiatrie et pneumologie.
Après avoir enfin compris que l’antibiorésistance était un processus lié aux lois de la sélection naturelle, donc inévitable, on a commencé une course aux armements entre bactéries toujours plus résistantes et antibiotiques toujours plus puissants. Chaque camp a gagné des batailles, mais il a fallu plus d’un demi-siècle pour admettre la supériorité définitive des bactéries et proposer de nouvelles stratégies.
Interdiction des antibiotiques dans l’élevage, diminution de la consommation médicale, avec le fameux slogan « les antibiotiques c’est pas systématique ». Rien n’y fit, malgré quelques pauses, la consommation s’est accrue. Les miracles ont la vie dure dans nos processus cognitifs.
Les dégâts ont été considérables à l’hôpital et en chirurgie, avec les maladies nosocomiales dont le coût et la mortalité ne cessent d’augmenter. On compte des centaines de milliers de morts annuelles rien que pour la diarrhée à clostridium.
En ultime recours, on a procédé à des études cliniques mieux contrôlées. Permettant ainsi de prouver l’inutilité des antibiotiques dans les angines (même à streptocoques), les bronchiolites, la majorité des maladies respiratoires, les infections urinaires, l’acné. On a montré la dangerosité de leurs excès dans les services de néonatologie ou dans la prévention des complications des viroses saisonnières. Certains ont suggéré de ne plus les prescrire dans l’ulcère de l’estomac où la résistance est encore plus forte. On a même définitivement détruit le dogme de la prise obligatoire de toute la boîte. Oui, on ne peut prendre qu’un ou deux comprimés, et seulement pendant un jour dans de nombreux cas, mêmes graves.
Des hôpitaux ont essayé la suppression totale d’un type d’antibiotique pendant 6 mois ou un an, révélant une baisse de l’antibiorésistance à la reprise… Trop brève hélas.
On a compris que les antibiotiques dans l’enfance sont la première cause de la recrudescence des maladies allergiques et de plusieurs maladies auto-immunes de l’adulte.
Aujourd’hui, l’antibiorésistance est considérée comme un problème majeur de santé publique. Peut-être à tort. D’une part, quelques décisions peu coercitives pourraient limiter massivement la consommation d’antibiotiques. D’autre part, la menace pèse peu sur le grand public, l’antibiorésistance est surtout un frein à la chirurgie complexe et à la protection des personnes fragiles hospitalisées. En bref, à ce qui fait la modernité de la médecine.
L’histoire de l’antibiorésistance fournit ainsi un modèle original de réflexion en écologie politique. La méconnaissance et le mépris des lois de l’évolution ont conduit à ralentir notre maîtrise sur la biologie humaine. Une forme d’autorégulation.