Valse des normes

Dans les années 1970, la pression artérielle systolique à 60 ans ne devait pas dépasser 160 mm Hg, aujourd’hui le chiffre est de 140. Le nombre d’hypertendus était estimé à 9% de la population. Ce taux est monté à 30% à la fin du XX° siècle, puis à 46% en 2019, par l’abaissement des normes. Il en est de même pour la glycémie à jeun dont le chiffre à ne pas franchir est passé de 1,40 g/l à 1,20 g/l. Le changement des normes pour le cholestérol en 2014 a fait brutalement passer de 42% à 57% le pourcentage d’Américains souffrant d’hypercholestérolémie.

Deux amusantes publications ont montré que 90% des Norvégiens étaient hors des normes cardio-vasculaires, et 99% des Américains. Il reste tout de même 10% des Norvégiens et 1% des Américains qui peuvent prétendre à l’immortalité. Le hamburger doit être plus meurtrier que le poisson.

Tous ces morts que nous allons pleurer vont être une nouvelle cause de maladie, car les normes du deuil pathologique ont, elles aussi, été modifiées à la baisse. Dans la version III du manuel de référence en psychiatrie (DSM), la durée au-delà de laquelle il fallait considérer le deuil comme un trouble dépressif avait été rabaissée à un an. Dans la version IV, cette durée était de deux mois. Et enfin dans la version V, il est écrit que le deuil est pathologique s’il dure plus de deux semaines. Dans un autre registre de la psychiatrie, certains considèrent que la dépression du post-partum est l’une des formes de la tentaculaire maladie bipolaire. Ainsi, le nombre de personnes souffrant de troubles mentaux, estimé à plus de 25%, va certainement s’accroître dramatiquement.

La densité osseuse est également sujette à caution normative, l’ostéopénie physiologique des personnes âgées est devenue ostéoporose, indépendamment du risque de fracture.  

Très rarement, la situation est inverse, ce n’est pas l’abaissement des normes qui crée une augmentation de la morbidité, c’est l’augmentation réelle de fréquence d’une anomalie qui oblige à changer les normes. L’exemple caricatural est celui du sperme. En 1940, le nombre de spermatozoïdes par ml était de 113 millions. Cinquante ans plus tard, en 1990, il était de 66 millions. Pendant la même période, le volume de l’éjaculat est passé de 3.40 ml à 2.75 ml. Devant la baisse continue de ces chiffres, l’OMS a tout simplement modifié les normes de l’hypospermie. Le taux normal de spermatozoïdes par ml est passé à 20 millions en 1999 et à 15 en 2010. Pour l’éjaculat, la norme est passée à 2ml en 1999 et 1,5 ml en 2010.

Malgré la morbidité qu’elle accumule, cette valse des normes fait tout de même des heureux. D’une part, chaque spermatozoïde se réjouit d’avoir de moins en moins de concurrents dans sa course à l’ovule. D’autre part les marchands de chimie gagnent sur deux fronts, ils sont innocentés par la renormalisation de la catastrophe spermatique, et ils sont sollicités pour soigner les détresses médicales consécutives à l’abaissement des normes.

Bibliographie

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