En épidémiologie, l’effet moisson désigne la compensation qui suit un excédent de mortalité dû à un évènement extraordinaire tel que canicule, grand froid, pic de pollution ou épidémie. Si cet effet est important, cela signifie que l’essentiel de la mortalité a concerné des personnes fragiles qui seraient décédées quelques mois plus tard. On ne peut le mesurer qu’après le pic de mortalité, l’effet moisson est alors considéré comme d’autant plus important que le creux de mortalité est proche du pic en temps et en valeur.
On comprend aisément qu’il n’y a pas d’effet moisson après une guerre qui tue essentiellement des personnes jeunes. Cet effet a été faible après le smog de 1952 à Londres, laissant supposer que la surmortalité a concerné toutes les tranches d’âge. En revanche, il y a eu un important effet moisson en France après la grippe de 1957 et après la canicule de 2003. On le constate aussi après les surmortalités constatées en hiver dans tous les pays d’Europe, car le froid et les viroses saisonnières tuent plus volontiers les personnes âgées.
Si l’on raisonne en nombre d’années de vie perdues, les guerres et la pollution sont évidemment pires que les variations climatiques et les virus. Cela laisse supposer que si la santé publique, dans tous les pays, s’acharne avec tant d’obstination sur les virus, c’est possiblement pour compenser un sentiment de culpabilité lié à l’impossibilité d’agir sur les autres causes. Cela me rappelle l’histoire du type qui cherche ses clés sous un réverbère, bien qu’il les ait perdues ailleurs, car c’est là qu’il y a de la lumière.
Plus sérieusement, espérons que cette épidémie n’aura pas fait perdre trop d’années de vie, chacune d’elles étant si précieuse. Mais nous ne le saurons qu’après, car en science, les modélisations émotionnelles du futur sont toujours moins pertinentes que la froide analyse des faits passés.
Quant aux années/qualité de vie perdues par les jeunes adultes et les enfants, nous ne le saurons pas pour au moins trois raisons. La première est que le long terme n’intéresse pas les décideurs de la santé publique. La deuxième est que de telles études nécessitent des critères difficiles à définir. La troisième est que l’analyse des résultats est toujours beaucoup moins flamboyante que les polémiques qu’ils suscitent.
Nous ne saurons donc jamais combien d’années de vie ont été perdues, mais nous pourrons en avoir une première estimation après examen de la mortalité en 2022 et 2023. Pourrons-nous patienter un à deux ans pour avoir un résultat approximatif ?
Je n’ose même pas imaginer la variété des stupidités que les chaînes d’information continue vont devoir moissonner pour meubler tout ce temps.