Le risque zéro n’existe pas, mais tout doit être fait pour s’en approcher.
Les normes des installations électriques sont régulièrement remises à jour, les notices de sécurité des machines et outils comptent de plus en plus de pages, mais les accident domestiques restent une cause importante et stable de mortalité.
Malgré les multiples normes de la sécurité aérienne, on enregistre au moins un crash ou détournement d’avion chaque année. Les constructeurs d’avion, les pilotes, les aéroports et les aiguilleurs du ciel ne pourront jamais maîtriser tous les aléas météorologiques et idéologiques. On sait théoriquement ce qu’un nouveau témoin lumineux peut éviter, mais il faut des années avant de comprendre les modifications comportementales qu’il a induites. La mortalité routière peine à passer sous le seuil des 3000 morts par an, mais chaque nouvelle mesure suscite de dangereuses polémiques. La voiture autonome pourrait compenser l’incurie des conducteurs, mais l’intelligence artificielle est aussi une production humaine.
On nomme seuil de contre-productivité le point bas de la courbe de morbidité et de mortalité. Les antibiotiques ont drastiquement fait baisser la mortalité infectieuse, mais leur utilisation abusive l’a fait remonter quelque peu. Avec les grands progrès de l’obstétrique, la mortalité maternelle pour 100 000 naissances est tombée de 200 à 12 entre 1920 et 1980. Ensuite, elle a varié pour atteindre son point le plus bas à 6 en 2005, puis elle est remontée à 9. Il sera certainement difficile de déterminer quelles nouvelles pratiques ont contribué à faire franchir leur seuil de contre-productivité de l’obstétrique. On constate par exemple que lorsque le taux de césarienne dépasse 19% des naissances, la mortalité néonatale a tendance à réaugmenter.
Pour les médicaments, on essaie toujours d’évaluer le rapport bénéfices/risques. Ce rapport est généralement positif lorsque les indications de prescriptions sont respectées. Mais les prescriptions dérapent presque toujours, et les risques peuvent être bien supérieurs à ceux de l’antibiorésistance ou des maladies nosocomiales que l’on a connus avec les antibiotiques.
Avec la crise des opiacés, tous les antalgiques ont franchi leur seuil de contre-productivité. Les antidépresseurs ont probablement évité des suicides, le débat reste ouvert, mais leur surprescription en a généré certainement davantage. Les statines ou les antihypertenseurs ont certainement évité des accidents cardio-vasculaires, mais l’extension de leurs indications a créé sa propre morbi-mortalité.
En médecine comme ailleurs, nos progrès techniques nous permettent d’approcher le risque zéro avec la certitude de ne jamais pouvoir l’atteindre. Mais en médecine plus qu’ailleurs nous avons des difficultés à déceler le seuil de contre-productivité. Ce ne sont pas nos progrès techniques qui nous permettront d’y parvenir, mais nos progrès en écologie comportementale. Elle n’est pas enseignée dans les facultés de médecine.