Les malades sont coupables

Si vous avez un cancer du côlon arrivé au stade hémorragique, c’est parce que vous avez été négligent, il vous suffisait de faire régulièrement des dépistages et des coloscopies, comme ne cessent de vous le répéter la radio et votre boîte aux lettres.

Si vous avez un AVC, c’est parce que vous n’avez pas régulièrement fait contrôler votre tension. Quoi ? Vous l’avez fait contrôler. Alors c’est parce que vous n’avez pas bien suivi votre traitement. Quoi ? Alors c’est que votre cardiologue ne vous a pas donné de doses assez fortes.

Si votre enfant est autiste, c’est parce qu’il manque d’affection depuis sa naissance. Pardon, il paraît que l’on ne dit plus cela maintenant. Alors c’est parce que vous avez mangé n’importe quoi pendant votre grossesse. Pardon, on ne dit plus ça non plus. Eh bien c’est peut-être à cause des pesticides qui pénètrent dans votre maison. Quelle idée de faire construire sa maison en bordure de vigne ! C’est presqu’aussi stupide que d’aller s’installer dans un EHPAD, alors que l’on sait que le taux de mortalité y a toujours été de 100%.

Si votre fils est bipolaire, c’est parce que vous ne lui avez pas donné de neuroleptiques pendant sa crise d’adolescence. Comment ça ? C’est votre médecin qui n’a pas voulu. Alors, il fallait en changer.

Si vous continuez à avoir des douleurs, c’est parce que vous ne prenez pas d’opiacés. Comment ça ? C’est encore votre médecin.

Cet inventaire n’est pas de Prévert, il est trop explicite : les malades sont coupables de leur maladie. A moins que ce ne soit leur médecin ringard, barbare ou incompétent. Cela me rappelle  l’époque où la psychanalyse avait le monopole de l’intelligence ; lorsqu’un clinicien osait en critiquer l’absence d’efficacité thérapeutique, il était fortement suspecté d’avoir lui-même un problème d’ordre psychanalytique. Je pense aussi à une publicité pour les statines, on pouvait lire sur une étiquette accrochée à l’orteil d’un cadavre : « s’il avait fait doser son cholestérol, il n’en serait pas arrivé là »

Même pour les épidémies, les malades sont coupables. S’ils avaient respecté les gestes barrières, les vagues cesseraient d’elles-mêmes. Comment ça ? Il y a toujours eu des vagues de viroses respiratoires depuis plus de 300 millions d’années, depuis que des animaux respirent. Oui, mais vous parlez d’une époque où il n’y avait ni masques ni ministres. Aujourd’hui, les gouvernements sont coupables de laisser défiler les cancers, les maladies mentales et les épidémies. Comment ça, ils ne savent pas ?

Alors vous confirmez que la culpabilité revient aux malades, à moins que vous n’ayez un problème d’ordre… politique, écologique, anachronique, agnostique, anarchique, que sais-je encore… civique ? Civique, oui c’est certain, je suis convaincu que vous n’accepteriez pas de jouer le rôle de l’âne dans la fable de la peste…

C’est vrai, je dois l’avouer, ni celui du lion dans les épidémies suivantes.

Références

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