Comme la plupart des dépistages généralisés en cancérologie, celui du mélanome (cancer de la peau) n’arrive pas à faire la preuve de son efficacité. Mais comme pour tous les dépistages, la communication ne repose pas sur les données de la science, mais sur l’intime conviction que si l’on dépistait tous les cancers il n’y aurait plus de mort par cancer.
Les intimes convaincus sont des proies faciles pour tous les marchés. En médecine, particulièrement, la dissociation entre vérité clinique et intime conviction revêt parfois des aspects cocasses.
Au cours des derniers mois, trois annonces se sont succédé sur les grands médias sans qu’aucun lien ne soit fait entre elles. D’une part, une grande étude, menée par la Haute Autorité de Santé Américaine, a confirmé l’absence de bénéfice du dépistage du mélanome. D’autre part, deux firmes ont fait la promotion de gadgets diagnostiques pour ce cancer. L’une était une application pour smartphone basée sur des photos à adresser à un médecin en ligne. L’autre proposait une dermatoscopie rapide et facile. Dans les deux cas, le médecin n’avait pas besoin d’être là, ce qui, d’après les publicités, permettait de gagner du temps !
Une autre intime conviction des patients est que l’intermédiaire d’une machine est un gage de précision. Ceci est encore plus cocasse, puisque l’interprétation d’une photo, d’une dermatoscopie ou d’un examen microscopique repose toujours, au final, sur l’œil du médecin et sa subjectivité.
Dans tous les cas, ce médecin dissimulé à l’autre bout du web ne prendra jamais le risque juridique du sous-diagnostic, et il conseillera d’aller consulter un médecin en chair et en os. Le patient, après avoir perdu du temps et de l’argent, se retrouvera donc à la case départ de sa hantise morbide, devant un praticien supposé faillible. Ce médecin consulté, même s’il fait partie de ceux, désormais nombreux, qui connaissent l’inutilité des dépistages, ne le dira jamais à ce patient internaute, car il risquerait de passer au mieux pour un ennemi du progrès, au pire pour un inconscient.
Face à tous ces rescapés du web, les praticiens essaient donc, avec plus ou moins de patience, de panser les blessures de la science et de colmater les fuites de la raison ; ce qui est aujourd’hui une tâche impossible.
Devant ces inextricables et grotesques situations, le médecin a deux choix diamétralement opposés. Soir empocher 25 € en acceptant d’être un rouage de ce système marchand qui avance inexorablement avec le soutien des intimes convictions. Soit empocher la même somme en fulminant contre ce système, ce qui est intenable à terme.
Le cancer est un vrai fléau autour duquel, la science mercatique a diaboliquement réussi à rendre la science clinique dérisoire.