La probabilité d’avoir une maladie d’Alzheimer après 75 ans est de 15%. En épidémiologie, il s’agit d’un pourcentage énorme, surtout pour une maladie aussi invalidante.
Piètre réconfort : elle survient à un âge avancé, presque toujours supérieur à 65 ans. Cet âge étant défini comme borne de la mort prématurée, la maladie d’Alzheimer n’est donc responsable que de morts non prématurées.
A l’heure actuelle, aucun médicament commercialisé n’a d’efficacité sur le cours global et le pronostic de cette maladie neuro-dégénérative. L’idée est donc de la prévenir, à défaut de pouvoir la guérir. Les investissements et les recherches abondent dans cet objectif, et aboutiront certainement à plusieurs nouvelles molécules commercialisables.
Nous savons depuis longtemps que « commercialisé » ne veut pas dire efficace. L’autorisation de mise sur le marché repose sur deux critères principaux : modèle théorique d’action et preuve de l’efficacité par essai clinique randomisé.
Les modèles théoriques d’action sur la maladie d’Alzheimer ne manquent pas : protéine tau, dépôts amyloïdes, et (trop) nombreuses pistes génétiques (APOE, APP, PSEN, BDNF, SORL1, CLU, BIN1, etc. ; il y a actuellement plus de 25 régions génomiques impliquées) !
Quant aux essais cliniques, il est quasi impossible de prouver l’efficacité d’un médicament curatif, et a fortiori préventif, sur une pathologie plurifactorielle d’apparition tardive, souvent associée à d’autres pathologies, chez des patients polymédicamentés, car il y a toujours trop de facteurs de confusion. Pour réaliser cet exploit, il faudra d’autres « ressources » qui ne dépendent pas de la science exacte. Mais soyons certains que les marchands y parviendront.
Une fois la molécule mise sur le marché, elle n’aura, par contre, aucun problème à prouver son efficacité. Reprenons notre propos à son début. Cette pathologie concerne 15% des sujets de plus de 75 ans. Le corollaire est l’absence de cette maladie chez 85% d’entre eux. La molécule en question sera inévitablement vantée et considérée comme efficace chez 85% des sujets qui l’auront prise !
D’aucuns trouveront cet humour mathématique bien sombre pour un drame social et familial de cette importance. C’est vrai, le drame est réel. C’est pourquoi le clinicien que je suis tient à rappeler que les exercices cognitifs, la marche, la socialisation et le toucher sont pour l’instant les seules méthodes ayant fait la preuve d’une très légère efficacité sur l’apparition et le cours de cette maladie. Et surtout, que l’apparition d’une molécule pour une pathologie chronique quelconque s’accompagne irrémédiablement d’un recul des actions préventives non pharmacologiques, donc d’un recul de la prévention.
Telle est la réalité du terrain, il est utile de la rappeler.
Mots-clefs : Alzheimer, biais, cynisme, EBM, mercatique
Non seulement notre confère à raison mais il le dit bien et voit loin. Ce pauvre Aloïs serait étonné du succès de sa découverte. Auguste, sa patiente n’ayant jamais pu atteindre 75 ans : atteinte de démence à 51 ans, elle fut pliée dans son linceul à 56 ans. Les atteintes dégénératives de ces démences sont-elles identiques ou le terme d’Alzheimer est-il plus chic que démence sénile? Merci à qui m’éclairera.
@ Isabelle Gautier : oui, malade d’Alzheimer est plus chic que démence sénile, et à ma connaissance les lésions cérébrales sont identiques. Ce que l’on remarque par contre est l’extrême rapidité de dégradation des malades d’Alzheimer jeunes par rapport au démence sénile dont la durée de survie après l’apparition des premiers symptômes est parfois très longue (jusqu’à 15 ans chez certains de mes patients), mais était-ce de véritable démence dégénérative ou des démences mixtes, ou d’autres types ? la frontière entre ces différentes formes de démence est souvent extrêmement difficile à repérer.