La science clinique, expertise au chevet (klinê) du malade, est en fort recul depuis une cinquantaine d’années. Les deux responsables en sont, d’une part, l’invasion technologique, dont il faut reconnaître l’efficacité, et d’autre part, le nouveau concept de médecine basée sur les preuves (EBM).
La technique nous fournit la preuve par le résultat chiffré ou l’image tandis que l’essai randomisé en double aveugle contre placebo de l’EBM nous fournit la vérité statistique.
Le symptôme individuel est ainsi gommé par le verdict de la machine et la variabilité individuelle, caractéristique essentielle du vivant, est annulée par la méthode statistique. L’individu est nié par la nouvelle médecine, non pas que les nouveaux médecins aient moins d’éthique ou moins d’humanité, mais parce que cette nouvelle méthodologie impose stricto sensu la négation de l’individu.
Cela signe-t-il la fin définitive de la clinique ?
Non. Il y a, certes, un cap difficile à passer, pour les médecins, pour les patients et pour la sérénité de leurs relations. Mais après la digestion culturelle de ces nouvelles expertises, le clinicien aura appris à maîtriser et à contester la machine. La variabilité individuelle, indispensable à la survie de toute espèce, persistera évidemment. Ainsi le nouveau techno-clinicien, généraliste enfin décomplexé, réconcilié avec son patient, retrouvera l’usage du dernier mot dans les histoires cliniques singulières.
Ce sera l’ère de la « post-clinique » que tous les cliniciens attendent, sans pouvoir la nommer, depuis l’invasion paraclinique.
Même Virchow qui, en découvrant la cellule et ses pathologies, fut l’un des fondateurs de la paraclinique, attendait déjà l’ère de la post-clinique lorsqu’il disait : « Si le microscope est capable de servir la clinique, c’est à la clinique d’éclairer le microscope. »
Aujourd’hui, avec la biologie moléculaire qui devient une sous discipline de l’anatomo-pathologie, il n’existera plus un seul génome normal dans les cellules de nos dépistages.
Les anatomopathologistes, avec le secours des post-cliniciens oseront alors enfin dire à leur patient : c’est anormal, mais rassurez-vous, c’est normal.