Toutes les campagnes incitant au dépistage des cancers répètent invariablement la même phrase. Chaque nouvelle découverte diagnostique ou thérapeutique en cancérologie est inévitablement encadrée par cette phrase : « 90% des cancers dépistés tôt guérissent ». Véritable « slogan » qui semble devoir résumer toute la communication autour de ce grave problème de santé individuelle et publique.
Cela est à la fois une vérité absolue et une déconcertante stupidité. Pour rendre ces deux assertions compatibles, il suffit de définir les mots et les concepts.
Qu’est-ce qu’un cancer ? Dans l’acception actuelle, un cancer est une tumeur qui évolue irrémédiablement vers la métastase et la mort. Peu importe que ce cancer soit clinique ou infra-clinique, c’est-à-dire perçu ou non par le patient. Le consensus actuel ne fait aucune différence entre un cancer dépisté et un cancer diagnostiqué.
Qu’est-ce que la guérison d’un cancer ? Ministères et spécialistes affirment d’un commun accord qu’un cancer est guéri lorsqu’en l’absence de récidive, le patient est vivant cinq ans après la découverte de la tumeur.
Ces deux définitions étant les piliers du paradigme, la phrase des 90% est exacte. On peut se permettre d’en faire un slogan et de le faire courir sur toutes les ondes sans risque d’être accusé de mensonge. Tout est pour le mieux.
Permettez-moi cependant de poursuivre…
Choisissons comme définition de la stérilité : une femme qui atteint l’âge de trente ans sans avoir eu d’enfants. Sur cette base terminologique, une femme qui a un enfant à l’âge de trente-deux est une femme stérile qui a eu un enfant. C’est absolument stupide, je le concède. C’est pourtant très exactement, et sans nuance, ce qui se passe en cancérologie.
Si une tumeur infraclinique, découverte par dépistage, est supposée apparaître cliniquement dans dix ans et vous tuer dans vingt ans, vous serez guéri cinq ans avant d’être cliniquement malade et quinze ans avant d’en mourir. Et si cette tumeur microscopique ne doit jamais évoluer ni vous tuer, vous en serez tout de même guéri et j’en suis ravi pour vous.
Pardon, je n’ai pas vraiment envie de plaisanter sur un sujet aussi dramatique, cependant, dans les deux cas, votre diagnostic et votre guérison seront comptabilisés de la même façon !
Etonnant, non !
La rigueur scientifique devrait commencer par définir le cancer et sa guérison. Un slogan pour inciter au dépistage relève de bons sentiments, pas de la science, sauf si le dépistage de masse fait la preuve de son efficacité. Hélas, les publications sont de plus en plus nombreuses pour dénoncer la très faible rentabilité en QALY[1] des dépistages de masse – je dis bien de masse – que plusieurs pays abandonnent. [2]
Les voies de recherche en cancérologie ne manquent pas. L’énorme affect qui entoure ce sujet en fait naturellement une cible politique et commerciale de premier plan. Alors, pour n’être jamais suspect de démagogie ni de vénalité, préférons la rigueur terminologique à une compassion vaine et désordonnée.
Ne prenons pas le risque majeur d’être contre-productifs. Souvenons-nous d’un excès de promotion vaccinale contre la grippe dont les premiers résultats néfatses apparaissent déjà en diminuant la couverture vaccinale d’autres vaccins très utiles.
[1] Quality adjusted life year. Ce qui signifie en bon français : années-qualité de vie gagnées.
[2] On trouvera une riche bibliographie dans : L. Perino. Il est urgent de repenser la cancérologie. Médecine, Vol 6, N° 4, 2010, p 170-174 et N° 5, p 228-232.