Science des sciences, les mathématiques ont une froide rigueur. Le chiffre est souvent cruel et intolérable, car il est vécu comme une privation de la liberté de penser, surtout s’il est statistique et a fortiori s’il concerne l’homme.
L’individu, vitaliste par nature, refuse d’être réductible à ses propriétés physico-chimiques et les populations, frondeuses par culture, refusent le carcan des biostatistiques.
Pour expier son invention du nombre, l’homme a peaufiné tout un art de sa présentation afin d’y réintroduire la subjectivité et la politique, apparemment indispensables l’une et l’autre à sa survie.
Dire que 98% des assassins/violeurs récidivent n’a pas la même signification que de dire qu’un très faible pourcentage ne récidive pas. Si les deux formulations sont exactes, la première est une invective à légiférer, la seconde, malgré l’inconnue d’un subtil pourcentage, ouvre grand la porte de l’espoir et de la rédemption.
Le marchand préfère affirmer que son médicament diminue de 22% le risque de maladie, alors que le consommateur, nauséeux à chaque prise, n’apprécierait pas d’apprendre que ce risque passe de 1,8% à 1,4%. En gros, que ce médicament si désagréable à prendre, ne sert pas à grand chose !
Quant à la comparaison de deux chiffres, elle est un véritable programme électoral. Les schizophrènes représentent 2% de la population, et ils sont impliqués dans un assassinat sur dix. Dire que neuf assassinats sur dix sont commis par des gens « normaux» ou que chaque schizophrène a un potentiel assassin cinq fois supérieur à la « normale » sont deux assertions mathématiquement vraies qui en disent long sur les intentions et la compassion de chaque locuteur…