Le cancer est un sujet bien trop grave pour supporter la légèreté.
L’incidence exacte du cancer du colon en France est de 36000 cas par an soit 0,06%. La prévalence (moins exacte) est de l’ordre de 0,3%. Le nouvel hémoccult, plus précis que l’ancien a une sensibilité qui est passé de 50 à 85 soit 15% de faux négatifs. Le taux de faux positifs reste inchangé, il est de 3%.
Ces chiffres de l’incidence et de la prévalence nous indiquent que sur une population de 100 000 personnes : 300 sont porteuses d’un cancer du colon, dont 60 sont apparus dans l’année. L’hémoccult pratiqué sur ces 100 000 personnes sera positif chez 85% des cancéreux soit : 300 x 85/100 = 255 personnes. Il sera aussi positif chez 3% des non-cancéreux soit : 97700 x 3/ 100 = 2931 personnes.
En cas d’hémoccult positif, ma probabilité d’avoir un cancer est le rapport des positifs cancéreux (255) sur le total des positifs (cancéreux et non cancéreux soit 255 + 2931 = 3186)
Le rapport est donc de 255/3186 = soit 8%
Ces chiffres correspondent à la démonstration en valeurs absolues des données du théorème de Bayes qui calcule les probabilités a posteriori, correspondant exactement à la situation du résultat d’un test de dépistage. Pour ceux qui n’ont pas compris, je les rassure, 2% seulement des médecins connaissent ce théorème de Bayes et seulement 5% des médecins universitaires enseignants !! (La recherche, N° 340, mars 2001). Ce chiffre est confirmé par ma pratique sur de futurs médecins agrégés que je suis chargé d’éveiller à l’épistémologie. J’ai également vérifié que plusieurs hauts responsables des centres de dépistage de masse ne connaissaient pas ce théorème.
La rigueur scientifique impose donc de dire à nos patients que s’ils ont un hémoccult positif, ils ont SEULEMENT 8 chances sur 100 d’avoir un cancer du colon. Il faut aussi leur dire que la coloscopie, qui suivra obligatoirement, sera inutile dans 92% des cas. Il faudra aussi les avertir que la coloscopie n’est pas un acte anodin.
Désormais, nous sommes dans l’obligation de proposer ce dépistage de masse à tous nos patients. Nous pouvons donc décider d’être seulement disciplinés et nous taire. Nous pouvons aussi être rigoureux et essayer de ne pas participer à ce dépistage politiquement correct et dont les résultats en termes de santé publique seront nuls ou presque. (Entre 100 et 400 morts différées par an selon les études) Nous pouvons aussi décider d’être à la fois disciplinés et scientifiques, en expliquant tout cela à nos patients, mais la tâche sera très difficile puisque leurs médecins, leurs universitaires et leurs responsables des centres de dépistage ne l’ont pas encore compris !