Grippe : douceur et cruauté des chiffres.

2 décembre 2009

Les chiffres sont à la fois doux et cruels. La grippe, dont la tyrannie médiatique, nous oblige à l’avoir ou à la supputer, offre finalement des chiffres rassurants. Environ 80 cas mortels sur 2,8 millions de cas estimés en France à ce jour. Ainsi la mortalité imputable à cette épidémie semble être environ trente fois inférieure à la mortalité des précédentes, usuellement et grossièrement estimée à un pour mille. Douceur du chiffre qui nous annonce cette grippe comme trente fois plus bénigne que les autres.

A moins que ce virus soit aussi mortel ou plus que les précédents… Les chiffres signifieraient alors une surestimation du nombre de cas. Ce surdiagnostic représenterait 29 cas sur 30 ou plus ! Cela laisse perplexe et rend soudain les chiffres cruels, car ils révèlent que nos diagnostics sont incertains et influençables. Puisque le peuple, le ministère et les médias veulent que chaque fébricule ou rhume soit une grippe A, pourquoi les en dissuader et se comporter en rabat-joie de la grégarité ou en puriste du doute scientifique ? Oui notre science clinique est depuis très longtemps fortement influencée par les argumentaires mercatiques médiatiques ou politiques. Voilà que la division par trente de ce chiffre de mortalité nous le rappelle de façon cocasse.

On reproche souvent à la médecine basée sur les preuves d’être une médecine de la calculette. Je constate que le reproche est à moitié injustifié. L’usage de la calculette sert le plus souvent à démontrer l’efficacité des thérapeutiques ou à rehausser l’angoisse pathogène des facteurs de risque, mais curieusement, la calculette disparaît pour les « règles de trois » les plus élémentaires de l’épidémiologie. Tout se passe comme si les chiffres semblaient perdre leur pertinence lorsque leur résultat diminue la charge anxiogène sur la population.

Le concept de médecine basée sur les preuves est le dernier fleuron de la médecine moderne. Si nous ne voulons pas succomber sous la vague obscurantiste, ne faisons jamais l’impasse de ce principe des preuves… On ne peut pas le brandir à la demande… C’est tout le temps ou jamais.

Si c’est tout le temps : soit cette grippe est vraiment bénigne, soit son diagnostic est inflationniste au-delà du raisonnable.

Luc Perino

La toxicité du geste

24 novembre 2009

Tous les médicaments possèdent des effets indésirables. Certains y voient un corollaire et une preuve de l’efficacité. Ils en profitent pour moquer l’homéopathie dépourvue d’effets secondaires donc d’effets thérapeutiques. Les homéopathes quant à eux se vantent de l’absence de nuisances de leur thérapeutique. La polémique est stérile et les arguments y sont souvent plus sectaires que scientifiques dans les deux camps. Pourtant, la chose est bien connue, les placebos ont aussi des effets secondaires. Le plus méconnu, et peut-être le plus grave, est l’addiction gestuelle.

Prendre un médicament est un geste non anodin qui sous-entend que le secours ne peut venir que de l’extérieur. Quelle que soit l’efficacité réelle ou supposée du médicament, la gestuelle de sa prise est un inducteur comportemental pour le patient et pour ceux à qui il sert de modèle.

Ainsi, l’expérience de terrain et quelques (trop rares) observations nous montrent comment les partisans de l’homéopathie, prenant leurs médicaments à tout va, pour un oui ou pour un non, au prétexte de leur absence de toxicité, induisent des addictions gestuelles chez leur progéniture.

Il serait passionnant de faire des études sereines pour savoir si, à l’âge adulte, cette addiction se limite aux inoffensives granules…

Moralité : homéopathie ou allopathie, le mieux est toujours de s’abstenir du geste. L’abstention redonne toute sa place à la biologie évolutive et au dénouement spontanément favorable de nos petites misères. Si l’histoire des médiateurs du soin nous montre leur quasi nécessité anthropologique, n’oublions jamais, qu’anodins ou non, ils sont toujours toxiques pour nos influençables comportements.

Le risque majeur de la polémique vaccinale.

13 novembre 2009

La surmédiatisation de la nouvelle souche de virus grippal a eu des avantages. Elle a enfin enterré définitivement la fâcheuse confusion grippe/rhume qui sévissait encore chez quelques récalcitrants à l’éducation médicale. Elle a rappelé à tous l’ancienneté de cette maladie, contemporaine de l’élevage au néolithique, et sa relative gravité. Elle a montré l’inefficacité de tous les traitements curatifs, y compris les plus nouveaux et les plus vantés. Elle a enfin dévoilé aux derniers naïfs quelques aspects grotesques du politiquement correct et de l’électoralisme.

Devant ce danger, réel et familier, il ne reste que deux choix au patient potentiel. Soit ne rien faire en assumant un risque raisonnable. Soit se faire vacciner, seule prévention réellement efficace, comparée aux autres, toutes illusoires ou inapplicables (masques, désinfections, etc.)

Par contre, l’effet pervers de cette médiatisation est d’avoir permis aux lobbys anti-vaccination de bénéficier d’un temps de parole exceptionnel dont ils ont su abondamment profiter en magnant l’amalgame et la confusion avec une habileté coutumière aux seuls sectaires et politiciens.

Voici donc nos dirigeants risquant d’être punis par où ils ont péché !

J’ignore combien de morts seront évités par cette campagne vaccinale fort mal partie, mais il ne fait aucun doute que la nouvelle méfiance générée va diminuer encore la couverture vaccinale de maladies bien plus redoutables. Les morts par hépatite B, rougeole, coqueluche, diphtérie, pneumonies et autres tétanos risquent fort d’augmenter dans les prochaines années. Il ne reste plus qu’à espérer que leur nombre ne dépassera pas celui des morts économisées par la vaccination grippale afin que le bilan sanitaire global de cette gabegie de communications ne soit pas négatif.

Le petit robot de la publicité

3 novembre 2009

Depuis quelques mois, un petit robot, dont la voix rappelle celle du célèbre droïde « R2 D2 » de « La guerre des étoiles », sévit régulièrement sur les ondes publiques. Il nous indique, comment nous rendre, pas à pas, dans les W-C de notre propre appartement, ensuite, il nous exhorte à effectuer un prélèvement de selles dans le but de dépister une maladie susceptible de nous détruire de l’intérieur alors même que nous ignorons tout de son existence.

Cette publicité m’amuse, tout simplement. Il serait mesquin de parler des sommes conséquentes investies dans cette communication en insinuant qu’elles pourraient être utilisées pour des actions de santé publique plus urgentes, car, dans un système décisionnaire complexe, une action n’est jamais interchangeable avec une autre. Il serait encore plus mesquin de moquer le côté gadget du message délivré par un ministère à l’austérité revendiquée, car tout ce qui rapproche du peuple est forcément bon pour le peuple.

Cette publicité m’amuse doublement, car je suis certain que les experts en communication qui l’ont élaborée, n’ont pas imaginé à quel point elle pouvait atteindre le public ciblé.

Elle s’adresse, en effet, prioritairement, à ceux qui pensent que la robotisation du soin est la forme suprême de l’action sanitaire, à ceux qui sont convaincus que la composante cybernétique du dépistage de masse suffit à lui conférer sa pertinence, à ceux qui considèrent la signature d’un ministère comme une validation, a priori, d’un résultat futur et escompté.

De la publicité à la vérité, il y a du chemin à parcourir. Nous avons de bonnes raisons de penser que celui-ci sera très long, si l’on en juge par les résultats médiocres de toutes les études indépendantes sur le ratio coût/bénéfice des précédentes actions de dépistage de masse.

Dans quelques années, au moment du bilan, il faudrait encore être mesquin pour parler de chiffres, alors qu’il sera tellement plus simple et consensuel d’évoquer le souvenir de ce petit robot qui était un bien sympathique personnage de fiction.

La meilleure façon de compter

6 octobre 2009

Science des sciences, les mathématiques ont une froide rigueur. Le chiffre est souvent cruel et intolérable, car il est vécu comme une privation de la liberté de penser, surtout s’il est statistique et a fortiori s’il concerne l’homme.

L’individu, vitaliste par nature, refuse d’être réductible à ses propriétés physico-chimiques et les populations, frondeuses par culture, refusent le carcan des biostatistiques.

Pour expier son invention du nombre, l’homme a peaufiné tout un art de sa présentation afin d’y réintroduire la subjectivité et la politique, apparemment indispensables l’une et l’autre à sa survie.

Dire que 98% des assassins/violeurs récidivent n’a pas la même signification que de dire qu’un très faible pourcentage ne récidive pas. Si les deux formulations sont exactes, la première est une invective à légiférer, la seconde, malgré l’inconnue d’un subtil pourcentage, ouvre grand la porte de l’espoir et de la rédemption.

Le marchand préfère affirmer que son médicament diminue de 22% le risque de maladie, alors que le consommateur, nauséeux à chaque prise, n’apprécierait pas d’apprendre que ce risque passe de 1,8% à 1,4%. En gros, que ce médicament si désagréable à prendre, ne sert pas à grand chose !

Quant à la comparaison de deux chiffres, elle est un véritable programme électoral. Les schizophrènes représentent 2% de la population, et ils sont impliqués dans un assassinat sur dix. Dire que neuf assassinats sur dix sont commis par des gens « normaux» ou que chaque schizophrène a un potentiel assassin cinq fois supérieur à la « normale » sont deux assertions mathématiquement vraies qui en disent long sur les intentions et la compassion de chaque locuteur…

L’épidémiologie et le peuple

18 septembre 2009

De toutes les disciplines de la médecine, l’épidémiologie est la plus complexe. Elle nécessite de solides bases mathématiques et statistiques, un sens de l’analyse et de la synthèse et une grande rigueur dans la sémiologie. Les experts doivent en outre posséder des qualités personnelles de placidité et une propension naturelle à la dialectique et à l’épistémologie.

Les universitaires en comprennent souvent mal les données et rares sont les médecins qui savent les utiliser en pratique. Quand à la pénétration de cette science dans le grand public, elle est aussi faible que celle de la physique quantique.

Parmi les thèmes d’application de cette science, celui de l’infectiologie est bien plus ardu que celui des maladies cardio-vasculaires, par exemple, ou que tout autre thème du domaine sanitaire. En effet, l’histoire naturelle des maladies infectieuses est plus chaotique, compte tenu de la variabilité – au sens darwinien du terme – des agents infectieux et de l’état immunitaire des populations, tous deux influencés par de nombreux facteurs écologiques et sociaux.

Enfin, parmi les maladies infectieuses, la complexité physiopathologique va croissant des parasitaires aux bactériennes, pour atteindre le niveau maximum avec les maladies virales où les variations individuelles de l’hôte sont les plus fortes.

Tenter de vulgariser l’épidémiologie des maladies virales est un défi aussi téméraire que vouloir expliquer les différences entre les deux principales théories d’unification des particules : la théorie des cordes et sa concurrente de la gravité quantique à boucles. Pour ma part, après quelques essais infructueux, j’ai abandonné lucidement ma quête de savoir dans ces deux domaines.

Mon ultime question sans réponse est pourquoi les tentatives de vulgarisation de l’épidémiologie des maladies virales sont pluriquotidiennes alors que la gravitation quantique à boucles est dédaignée par tous les vulgarisateurs cathodiques ?

L’avenir du syndrome grippal

5 septembre 2009

Dans les dossiers de nos patients, nous avons chacun nos petites manies pour résumer en quelque mots l’essentiel de la consultation du jour : douleurs abdominales banales, crise migraineuse majeure, malaise de type vagal, contrôle d’hypertension, rhino-pharyngite, SEP en poussée, etc.

Pour la multitude des fièvres inexpliquées qui nous arrivent en hiver ou à la mi-saison, j’avais pris l’habitude, comme la plupart de mes confrères, de gribouiller le fameux « syndrome grippal » qui, bien que pouvant correspondre à une multitude d’étiologies virales ou non, avait le pragmatisme de dire exactement ce qu’il voulait dire, c’est-à-dire en termes clairs : « on ne panique pas, on attend et on laisse faire la nature. »

S’il s’agissait d’une vraie grippe, on le saurait bientôt, car la fièvre augmenterait et les désagréables symptômes classiques apparaîtraient, qu’il faudrait évidemment savoir moduler en fonction de la pusillanimité du patient.

Les temps ont changé. Le poids sémantique du « syndrome grippal » a augmenté considérablement en proportion du poids médiatique et économique de la terrible maladie qu’il est supposé taire ou annoncer. Aucun de nos mots et de nos gribouillages ne peut plus être anodin dans le nouvel inconscient sanitaire. Nous devrons donc apprendre la parcimonie dans chacun de nos propos. Le moindre dérapage verbal pourrait entraîner la fermeture d’une école ou d’une usine et paralyser l’économie d’un village, voire d’une région tout entière. Quelle énorme responsabilité civique !

J’encourage donc mes confrères à rédiger leurs fiches à la manière d’un discours politique, avec une méticuleuse prudence. Nous pourrions par exemple parler de FPI (fièvre provisoirement inexpliquée) ou FPA (fièvre provisoirement anodine) ou mieux FAJ (fièvre en attente de jugement.)

Essai sur les électrohypersensibles

1 septembre 2009

Les téléphones portables et leurs inélégantes antennes relai étaient déjà la proie des médias. Ils sont récemment devenus la proie des magistrats avec l’application du principe de précaution.

Pour les cigarettes, le principe de précaution a consisté à inscrire sur les paquets que fumer tue. Je ne vois donc pas de raison majeure à cesser la commercialisation des téléphones portables. Il suffit d’inscrire sur le boîtier que téléphoner peut tuer.

Cette boutade ne fait pas avancer le problème et il est bien difficile d’avoir une opinion, car tout ce que l’on dit peut se retourner contre nous. On est dans le camp des barbares si on soupçonne la moindre hystérie pour les symptômes des électrohypersensibles ou la moindre phobie pour les tumeurs cérébrales à venir. Inversement, on est mis dans le camp des écolos fanatiques si on suggère qu’il faudrait faire quelques études sérieuses pour s’assurer de l’innocuité de cette envahissante modernité.

Pour les cancers à venir, c’est certain, je n’ai pas d’opinion et je ne pourrais sans doute pas en avoir de sitôt, car l’étude qui permettrait de conclure avec certitude exigerait une telle rigueur méthodologique et inclure un nombre si élevé de personnes qu’il paraît mathématiquement impossible de savoir avant un demi-siècle. Prenons-en pour preuve les sévères critiques envers l’étude de cohorte « Interphone », dirigée par le très sérieux CIRC.

Pour les symptômes présents des électrohypersensibles, je n’ai pas d’opinion non plus, car il m’est tout à fait impossible de me mettre dans leur peau. Par contre l’étude qui permettrait de dévoiler avec une certitude absolue la moindre hystérisation des symptômes ressentis est extrêmement facile à faire. En appliquant la méthode du double insu contre placebo, il suffirait de quelques centaines d’individus répartis au hasard dans deux chambres émettant ou non des ondes. Un formulaire neutre permettrait ensuite de noter les symptômes ressentis. Il serait également possible d’émettre de légers bruits comme leurre dans l’une ou l’autre chambre alternativement. Un tel essai dont le coût ne me paraît pas exorbitant suffirait à définir avec une irréprochable précision statistique, la réalité des symptômes allégués.

La seule question qui doit donc se poser dans ce dossier du téléphone portable est celle de savoir pourquoi un essai aussi simpliste sur la réalité des nuisances immédiates n’a pas été fait avant d’entamer la longue coûteuse et hasardeuse étude interphone sur les nuisances à long terme.

Sur les différentes réponses possibles à cette question, j’avoue ne pas avoir d’opinion non plus. On pourrait me dire qu’avec si peu d’opinion, j’aurai mieux fait de me taire.

En effet…

Sauf si vraiment personne n’a jamais eu l’idée de faire une étude aussi évidente.

Reconnaissons que c’est peu probable…

Spermatozoïdes sous le charme

23 mars 2009

Les catastrophes écologiques à venir emplissent nos médias : réchauffement climatique, montée des eaux de mer, pénurie d’eau douce, trou d’ozone. Ces périls nous préoccupent à juste titre, car ils pèsent sur notre économie et menacent la survie de quelques espèces ou paysages qui nous sont chers. Pour homo sapiens, si l’on accepte le mot « écologie » dans sa signification biologique exclusive, la réussite est exemplaire : six milliards de gros mammifères ayant réussi à coloniser toute la planète et dont la longévité ne cesse de croître. Voilà qui devrait nous rassurer…

Les seules alarmes écologiques pour notre espèce seraient une réduction de sa capacité de colonisation ou une diminution de son effectif. Cette menace existe précisément sous forme d’une baisse drastique de la spermatogenèse humaine qui a diminué d’un facteur dix en l’espace de cinquante ans.

Curieusement les médias semblent presque taire ce péril majeur qui réduit les autres à de la littérature. Nous en ignorons totalement les raisons. Par contre nous connaissons déjà très bien quelques responsables de la mort des spermatozoïdes. Les pesticides sont clairement identifiés et les agriculteurs en sont les premières victimes. Les phtalates sont également de plus en plus souvent incriminés, ces substances « stérilisantes » se retrouvent dans de nombreuses matières plastiques et dans la plupart des cosmétiques. Ironie de l’évolution : la séduction, premier facilitateur de la reproduction, recèle, en son sein, une arme fatale aux spermatozoïdes.

Je suppose, dans ma naïveté, que les femmes qui consomment de plus en plus outrageusement le fard, les onguents et les poudres, ignorent les dangers qu’elles font subir à nos spermatozoïdes. A moins que l’évolution n’ait déjà, en germe, une parade à ce désastre. Les femmes qui, souvent, assurent les revenus de la famille et gèrent la maison, pendant que leurs conjoints regardent le foot ou jouent aux jeux vidéo, ont-elles déjà la prémonition biologique intime du clonage ou de la parthénogenèse.

Si tel est le cas, les cosmétiques ne seraient plus criminels pour notre espèce. Tout au plus pourrait-il manquer à nos compagnes quelques bras pour les travaux du bâtiment ; mais sur ce point là aussi, sachons leur faire confiance.

L’ultime blason des déserts médicaux

3 mars 2009

La maternité rurale et le petit hôpital ont fermé pour des raisons de sécurité, car les taux de mortalité y étaient prétendument supérieurs aux standards nationaux. La fermeture des lignes ferroviaires régionales n’empêche cependant pas d’atteindre le magnifique hôpital situé à cent kilomètres, car les routes sont déneigées en permanence, garantissant une survie en accord avec les standards nationaux…

Avec la concurrence des tomates andalouses et après la fermeture de l’école et de l’épicerie, un paysan célibataire et sans enfants s’est tourné vers la conservation de semences rares pour les zones rurales atypiques. Il a commencé par faire de la vente par correspondance, mais avec la fermeture du bureau de poste, il a dû abandonner et faire de la vente directe à d’autres paysans. Hélas, il vient de perdre son procès, car la vente de semences non validées par un certificat est interdite. Il a dû vendre sa voiture pour payer l’avocat, un grand spécialiste de la ville. Son fils est parti quand son usine du chef-lieu de canton a fermé, il ne pourra plus l’emmener en voiture à l’hôpital. Il reste encore les hélicoptères, il les voit à la télévision, on lui a certifié qu’ils viennent même lorsque la télévision n’est pas là. Quant aux médecins ruraux, ils ont été les derniers à partir, mais ils ont fini par faire comme tout le monde, surtout les jeunes qui avaient besoin d’écoles pour leurs enfants.

Le gouvernement s’attelle aujourd’hui au problème de la désertification médicale. Soyons certains que les solutions ne manquent pas. Il reste encore quelques médecins français ascètes et célibataires ou des médecins chinois ou roumains dont la famille a faim. Le vrai sujet n’est donc pas la solution au problème, mais le fait que le problème soit posé…

Pourquoi veut-on absolument soigner les habitants de nos campagnes ? Ceux qui ont su résister, après tout ce qu’on leur a pris, ne sont certainement pas prêts à se laisser déménager dans un établissement pour personnes âgées dépendantes. Ils ne verraient plus leur environnement familier. Certes le poulailler est vide depuis l’abattage des poules après l’alerte à la grippe aviaire, certes l’usine est vide mais son mur est toujours visible. On leur donnerait, le soir, des neuroleptiques, pour calmer leur agitation devant ce nouvel horizon non familier. Peut-être même voudrait-on soigner à la hussarde leur inéluctable cancer de la prostate…

Chers confrères, ayons au moins l’humanité de les laisser mourir dignement et en silence derrières les rideaux de leurs fenêtres. Promettons-leur de ne jamais aller nous installer dans ces campagnes dont le refus sanitaire pourrait bien être le dernier blason.